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GORGIAS

leur valeur singulièrement originale : le grand discours de Calliclès et celui de Socrate à la fin du dialogue.

L’entrée en scène de Calliclès est d’un grand effet. Jusque-là, c’est-à-dire pendant la discussion de Socrate avec Gorgias d’abord et ensuite avec Polos, il était resté à peu près silencieux, sauf quelques mots de bon accueil au début, par lesquels il introduit Socrate et Chéréphon dans sa demeure, auprès des deux sophistes et des assistants venus entendre Gorgias. Grand admirateur de la rhétorique, il avait senti sa bile s’amasser peu à peu devant les concessions de Gorgias et de Polos. La contradiction où celui-ci finit par se voir embarrassé grâce à la dialectique de Socrate le fait brusquement éclater. Il se jette alors dans le débat avec une audace de pensée et une verve de langage qui font de son intervention un coup de théâtre. La discussion semblait près de finir : elle rebondit avec une vigueur nouvelle. Calliclès est jeune, riche, confiant en lui-même ; il étale son immoralisme avec l’assurance hautaine d’un néophyte qui prend en pitié la prudence timorée de ses maîtres et qui d’ailleurs se croit tout permis. Il se plaît à outrer sa propre pensée, à la rendre aussi scandaleuse que possible, naïvement convaincu qu’il va décontenancer son adversaire. La morale que prêche Socrate est une morale d’esclaves ; c’est la morale des moutons en face des lions. La vraie morale, celle de la nature et non de la loi humaine, c’est la morale de la force ; au plus fort tous les avantages ; le reste est niaiserie.

Nous reconnaissons là l’opposition entre la nature et la loi, chère aux sophistes, mais Calliclès y met un accent et un éclat tout personnels.

Ce caractère de Calliclès, impétueux et vaniteux, est soutenu jusqu’au bout avec une admirable vérité, sous des formes diverses. Battu par Socrate, il n’est pas de ceux qui reconnaissent leur défaite. Ne sachant plus que répondre, il est prêt à laisser là son adversaire dont il affecte de mépriser les arguties. Retenu par Gorgias, il consent à rester, mais il laissera Socrate argumenter dans le vide, et ne lui répondra que pour la forme, en lui faisant sentir à chaque fois qu’il dédaigne de l’écouter sérieusement.

Tout le rôle est une création dramatique pleine de vie, à la fois par la représentation d’un caractère toujours semblable à lui-même et par la verve amusante de l’expression.