Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/138

Cette page a été validée par deux contributeurs.
484 a
163
GORGIAS

le juste et le beau. Mais qu’il se rencontre un homme assez heureusement doué pour secouer, briser, rejeter toutes ces chaînes, je suis sûr que, foulant aux pieds nos écrits, nos sortilèges, nos incantations, nos lois toutes contraires à la nature, il se révolterait, se dresserait en maître devant nous, lui qui était notre esclave, et qu’alors brillerait de tout son éclat le droit de la nature,

bIl me semble que Pindare a exprimé la même pensée que moi dans l’ode où il dit :

La loi, reine du monde,
Des hommes et des dieux —

Qu’en dit-il ? Cette loi[1]

justifie la force qui mène tout
De sa main souveraine ; j’en juge ainsi
Par les œuvres d’Héraclès, puisque, sans payer…

Et voici l’idée, car je ne sais pas le morceau par cœur ; mais le sens en est qu’Héraclès, sans avoir ni payé ni reçu en don les bœufs de Géryon, les chassa devant lui, estimant que, selon le droit naturel, cles bœufs et tous les biens du plus faible et du moins vaillant sont la propriété du meilleur et du plus puissant.

Voilà la vérité, et tu t’en convaincras si tu renonces à la philosophie pour aborder de plus hautes études. La philosophie, Socrate, n’est sans doute pas sans charme, si l’on s’y livre avec modération dans la jeunesse ; mais si l’on s’y attarde au delà d’une juste mesure, c’est une calamité. Quelque bien doué que soit un homme, s’il continue à philosopher dans son âge mûr, il est impossible qu’il ne se rende pas étranger à toutes les choses qu’il faut connaître dpour devenir un homme bien élevé et considéré.

Le philosophe ignore les lois qui régissent la cité ; il ignore la manière dont il faut parler aux autres dans les affaires

    intrusion. L’idée doit être : ils agissent suivant la Nature et, sans doute, suivant une loi, mais une loi qui est celle de la Nature.

  1. Qu’était, pour Pindare, cette loi qui justifierait la violence et le vol ? Faute du contexte il est difficile de le dire exactement. Pour Calliclès, il s’agit, en tout cas, de ce qu’il appelait tout à l’heure (préparant ainsi sa citation) la loi de la Nature.