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GORGIAS

et se rendent autant qu’ils peuvent habiles à persuader par la parole[1]. Si pourtant nos principes sont justes, vois-tu, Polos, la conclusion qui s’en dégage ? Ou préfères-tu que nous la dégagions ensemble ?

Polos. — Dégageons-la, si tu le veux bien.

Socrate. — Il résulte de nos raisonnements que le plus grand des maux, c’est d’être injuste et de vivre dans l’injustice, n’est-il pas vrai ?

Polos. — Évidemment.

dSocrate. — D’autre part, nous avons reconnu qu’on se délivrait de ce mal en expiant sa faute ?

Polos. — C’est possible.

Socrate. — Et qu’en se refusant à expier on le faisait durer ?

Polos. — Oui.

Socrate. — Par conséquent, commettre l’injustice n’est que le second des maux en grandeur ; mais y persévérer sans expier est de tous le plus grand et le premier.

Polos. — Je crois que tu as raison.

Socrate. — Quel était donc le sujet particulier de notre débat ? Il s’agissait d’Archélaos : tu soutenais qu’il était heureux parce que, malgré ses crimes abominables, il échappait à toute punition ; eet moi je pensais au contraire qu’Archélaos ou tout autre, s’il n’est point puni de ses crimes, est condamné par là même à être le plus malheureux des hommes, que toujours le coupable est plus malheureux que la victime, et le coupable impuni plus que celui qui expie. N’est-ce point là ce que je disais ?

Polos. — Oui.

Socrate. — Il est donc démontré que j’avais raison[2] ?

Polos. — Il le semble.


480La vraie utilité de la rhétorique.

Socrate. — À la bonne heure. Mais si cela est vrai, Polos, où est la grande utilité de la rhétorique ? Il résulte en effet de ce que nous avons admis qu’il faut avant tout se garder de com-

  1. Ce retour à la rhétorique prépare la tirade finale de Socrate.
  2. Pour Polos, Archélaos coupable impuni était le type de l’homme heureux ; pour Socrate, l’homme heureux est celui qui n’est pas coupable ; après lui, vient le coupable puni ; quant au coupable impuni, il est le parfait modèle du malheur. C’est exactement la thèse retournée.