Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.
473 a
146
GORGIAS

Pour le moment, la différence qui nous sépare est celle-ci : — vois toi-même : — j’ai dit[1] au cours de notre entretien que commettre l’injustice était pire que la subir.

Polos. — Oui.

Socrate. — Et toi, que la subir était pire.

Polos. — Oui.

Socrate. — J’ai dit aussi que les coupables étaient malheureux, et tu as réfuté mon affirmation.

Polos. — Assurément, par Zeus.

bSocrate. — C’est du moins ton opinion.

Polos. — Et une opinion qui n’est point fausse !

Socrate. — Peut-être. Toi, au contraire, tu juges heureux les coupables qui échappent au châtiment.

Polos. — Sans aucun doute.

Socrate. — Moi, je prétends que ce sont les plus malheureux, et que ceux qui expient le sont moins. Veux-tu réfuter aussi cette partie de ma thèse ?

Polos. — Seconde réfutation encore plus difficile, en vérité, que la première, Socrate !

Socrate. — Ne dis pas difficile, Polos, mais impossible ; car la vérité est irréfutable.

Polos. — Que dis-tu là ? Voici un homme qui est arrêté au moment où il essaie criminellement de renverser un tyran ; aussitôt pris, on le torture, con lui coupe des membres, on lui brûle les yeux, et après qu’il a été soumis lui-même à mille souffrances atroces, après qu’il a vu ses enfants et sa femme livrés aux mêmes supplices, on finit par le mettre en croix ou l’enduire de poix et le brûler vif : et cet homme, il serait plus heureux de la sorte que s’il avait pu s’échapper, devenir tyran, gouverner la cité toute sa vie en se livrant à tous ses caprices, objet d’envie et d’admiration pour les citoyens et pour les étrangers ? dVoilà la thèse que tu dis irréfutable ?

Socrate. — Tu me présentes un épouvantail, brave Polos, non une réfutation, pas plus que tout à l’heure avec tes témoins. Quoi qu’il en soit, veuille me rappeler un détail ; tu as bien dit : « au moment où il essaie criminellement de renverser un tyran ? »

  1. Cf. 469 a sqq.