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PROTAGORAS

goras, que l’entretien se poursuive contrairement à tes vues. Mais j’attendrai, pour causer avec toi, que tu consentes à me parler de telle sorte que je puisse te suivre. Tu es capable, à ce qu’on dit et ainsi que tu le prétends, de soutenir un entretien en discours longs ou brefs. C’est que tu es un habile homme : pour moi les longs discours me dépassent ; car ce n’est pas le désir d’être en état de les suivre qui me fait défaut. Puisque tu es maître également dans les deux genres, tu devais avoir pour moi quelque condescendance, afin de rendre l’entretien possible. Tu n’y consens pas, et d’autre part j’ai affaire ailleurs : je ne pourrais donc pas assister à tes longs développements, car je suis attendu, et je dois te quitter ; sans cela, j’aurais eu sans doute grand plaisir à t’entendre. »


Intervention de Callias.

En disant ces mots, je me levai pour partir, mais, au moment où je me levais, Callias me prit d’une main le bras et de l’autre saisissant mon manteau : « Nous ne te lâcherons pas, me dit-il, Socrate ; car, sans toi, une pareille conversation n’est plus possible. Je te prie donc de rester ; sache que rien ne peut m’être plus agréable à entendre qu’une discussion entre toi et Protagoras. Fais-nous à tous ce plaisir. » — Je lui répondis (j’étais déjà debout pour sortir) : « Fils d’Hipponicos, j’ai toujours admiré ton amour de la science ; en ce moment même, je t’en félicite et je t’en aime davantage ; aussi je serais heureux de te faire ce plaisir si ce que tu me demandes était possible. Mais c’est comme si tu me demandais de courir aussi vite que Crison d’Himère[1] ou de disputer le prix à quelqu’un des concurrents de la longue course ou de la course d’une journée. Je te répondrais qu’il me serait bien plus agréable qu’à toi de pouvoir les suivre dans leur train, mais que j’en suis incapable, et que, si tu veux me voir courir avec Crison, c’est à lui qu’il faut demander un peu de complaisance ; car je ne puis, moi, courir vite, tandis qu’il peut aller lentement. Si donc tu désires m’entendre avec Protagoras, demande-lui de me répondre comme il m’a répondu tout à l’heure, en peu de mots et sans s’écarter des questions posées. Sinon comment soutenir un entretien ? Je croyais qu’une causerie entre

  1. Vainqueur à la course du stade en 448, 444, 440.