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PROTAGORAS

« Et selon vous la nature de cette chose consiste-t-elle à être sainte, ou le contraire ? » Cette question, dis-je, me mettrait, pour ma part en colère, et je répondrais à l’interrogateur : « Ne blasphème pas, malheureux ! Quelle chose serait sainte si la sainteté ne l’était pas ? » Mais toi qu’en dis-tu ? N’est-ce pas ainsi qu’il faudrait répondre ? » — « Absolument, » dit-il.

— « Supposons qu’il continue de nous interroger et qu’il nous demande : « Que disiez-vous donc tout à l’heure ? Vous ai-je mal entendus ? Il me semblait que vous disiez que les parties de la vertu étaient entre elles dans des rapports de telle sorte qu’aucune ne fût semblable à l’autre ? » Je lui dirais : « Pour le reste, tu nous as bien entendus ; mais où tu fais erreur, c’est quand tu m’attribues cette opinion : elle est de Protagoras, et moi je l’interrogeais. » Si notre homme disait alors : « Est-ce vrai, Protagoras ? Soutiens-tu que chaque partie de la vertu est différente des autres ? Est-ce bien là ce que tu dis ? » que lui répondrais-tu ? » — « Je serais obligé, Socrate, d’en convenir. » — « Que lui répondrions-nous, Protagoras, après cet aveu, s’il continuait ainsi : « Par conséquent, la sainteté est une chose dont la nature n’est pas d’être juste, et la justice une chose dont la nature n’est pas d’être sainte, mais d’être non-sainte comme aussi la sainteté est non juste et donc sans justice, tandis que la justice est sans sainteté[1] ? » Que répondre à cela ? Pour moi, si je parlais pour moi seul, je dirais que la justice est sainte et que la sainteté est juste ; et en ton nom aussi, avec ta permission, je répondrais de même, que la justice est ou identique ou très semblable à la sainteté, et que la justice ressemble plus que tout à la sainteté comme la sainteté à la justice. Mais vois si tu me défends de répondre ainsi ou si nous sommes d’accord. » — « Il ne me semble pas du tout, Socrate, que la chose soit assez simple pour que je puisse t’accorder que la sainteté soit juste et la justice sainte, et je crois voir là

  1. Dans son laisser-aller apparent, la phrase (d’une logique au moins aventureuse) est très adroite. Le système consiste, au lieu d’opérer à la suite et séparément sur chacun des deux sujets (sainteté et justice), à passer alternativement, et en ordre inverse à mesure qu’on progresse, de l’un à l’autre : les deux énormités auxquelles on est conduit se trouvent ainsi rapprochées à la fin.