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PROTAGORAS

de choses savantes le sophiste est savant, que répondrons-nous ? Que sait-il exécuter ? » — « Que dire de lui, Socrate, sinon qu’il sait rendre les autres habiles à parler[1] ? » — « Peut-être dirions-nous ainsi une chose juste, mais insuffisante : cette réponse, j’imagine, appelle en effet une nouvelle question, sur l’objet à propos duquel le sophiste rend habile à parler. Le cithariste, par exemple, rend habile à parler de ce qu’il apprend à connaître, l’art de la cithare : n’est-il pas vrai ? » — « Oui. » — « Soit. Et le sophiste, sur quoi rend-il habile à parler ? Évidemment sur ce qu’il sait ? » — « C’est probable. » — « Quelle est donc cette chose qu’il connaît lui-même et qu’il fait connaître à son disciple ? » — « Par Zeus, je ne sais plus que te répondre. »


Gravité de la démarche demandée par Hippocrate.

Alors je repris : « Eh bien ! Comprends-tu maintenant à quel péril tu es sur le point d’exposer ton âme ? Avant de confier ton corps à quelqu’un, s’il devait en résulter pour lui un grand risque de bien ou de mal, tu examinerais longuement le parti à prendre, et tu demanderais conseil à tes amis, à tes proches, passant bien des jours à délibérer. Et quand il s’agit d’une chose plus précieuse à tes yeux que ton corps, quand il s’agit de ton âme, de laquelle dépend tout ton bonheur ou ton malheur, selon qu’elle sera bonne ou mauvaise, dans ce cas tu ne consultes ni ton père, ni ton frère, ni aucun de nous qui sommes tes amis, pour savoir si tu dois, oui ou non, la confier à ce nouveau-venu, à cet étranger ; tu apprends un soir son arrivée, dis-tu, et dès le lendemain matin, sans réflexion, sans demander à personne si tu dois, oui ou non, te confier à lui, te voilà prêt à donner ton argent et celui de tes amis, en homme qui sait de science certaine que Protagoras mérite une confiance sans réserve, lui que tu déclares ne pas connaître, à qui tu n’as jamais parlé, et que tu appelles un sophiste sans même savoir

  1. C’est là un des traits les plus saillants communs à tous ceux qu’on désigne de ce nom. Il convient à Protagoras, le sophiste (317 b) autant qu’à Gorgias, l’orateur (Gorg. 449 a). Sans parler des titres, délicats à interpréter, de quelques-uns de ses écrits, des propositions telles que : « Sur tout sujet il existe deux thèses réciproquement opposées » et « Rendre forte la thèse faible et inversement », qui lui