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PROTAGORAS

« Et cette ignorance est la lâcheté ? » — Il en convint, mais non sans peine. — « Ainsi le savoir en ce qui est du redoutable et du non redoutable est le courage, dès lors qu’il est le contraire de l’ignorance en ces matières[1] ? » — À ce moment, il ne put se décider à donner son assentiment et garda le silence. — Je poursuivis : « Voyons, Protagoras, tu ne réponds à ma question ni « oui » ni « non » ? — « Conclus toi-même, » dit-il. — « Soit ; mais seulement après t’avoir posé encore une question : crois-tu toujours, comme au début, qu’il y ait des hommes fort ignorants et cependant fort courageux ? » — « Tu veux, Socrate, dit-il, faire étalage de ta victoire en m’obligeant à répondre moi-même. Eh bien, je te ferai ce plaisir, et je déclare que cela me paraît insoutenable après tout ce que nous venons de reconnaître. »

— « Si je te pose toutes ces questions, dis-je, c’est uniquement pour voir ce qu’il en est de la vertu, et en quoi consiste cette chose qu’on appelle la vertu. Je suis sûr que, cette question une fois résolue, il sera facile d’élucider celle qui a provoqué de notre part à tous deux de si longs discours, moi, soutenant que la vertu ne peut s’enseigner, et toi, qu’elle le peut.

« Or il me semble que notre discours même, en arrivant à sa conclusion, devient comme notre accusateur et se moque de nous, et que, s’il pouvait prendre la parole, il nous dirait : « Vous êtes de plaisants personnages, Socrate et Protagoras : toi, Socrate, qui niais d’abord que la vertu pût s’enseigner, voici que tu mets tous tes efforts à te contredire en démontrant que tout est science, la justice, la tempérance, le courage, ce qui est le plus sûr moyen de montrer qu’on peut enseigner la vertu ; car il est clair que si la vertu était autre chose qu’une science, ainsi que le soutenait Protagoras, on ne pourrait pas l’enseigner, tandis que si, tout entière, elle est une science, comme tu le soutiens, Socrate, il serait étrange qu’elle ne pût devenir l’objet d’un enseignement. D’autre part, Protagoras, qui avait d’abord mis en fait qu’elle se pouvait enseigner, semble maintenant s’appliquer à se contredire, voyant en elle tout plutôt qu’une science, ce qui lui ôterait toute possibilité d’être enseignée ».

  1. Encore les contraires. Le courage, contraire de la lâcheté, trouve sa définition (science du vrai danger) dans le contraire de celle de la lâcheté (ignorance du vrai danger).