Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 1.djvu/138

Cette page a été validée par deux contributeurs.
353 d
76
PROTAGORAS

plus tard des maladies, la pauvreté et d’autres inconvénients du même genre ? Si elles ne vous préparaient rien de pareil pour l’avenir et qu’elles vous donnassent seulement de la joie, seraient-elles mauvaises tout de même, pour quelque raison et de quelque manière qu’elles vous eussent procuré cette joie ? » Que nous répondrait-on, Protagoras, sinon que ce qui les rend mauvaises, ce n’est pas la joie immédiate qu’elles nous donnent, mais que ce sont les conséquences qu’elles entraînent, les maladies et le reste ? » — « Je crois, reprit Protagoras, que c’est là en effet ce qu’on nous répondrait. » — « Mais vous rendant malades, elles vous apportent une douleur, et elles vous en apportent une en vous rendant pauvres ? » Nos interlocuteurs le reconnaîtraient, si je ne me trompe. » — « Je le crois aussi, » dit Protagoras. — « Vous reconnaîtrez donc, ô hommes, que si ces choses sont mauvaises, c’est uniquement, comme Protagoras et moi le soutenons, parce qu’elles aboutissent à une souffrance et qu’elles vous privent d’autres plaisirs ? » Le reconnaîtraient-ils ? » — Nous fûmes d’accord tous deux que oui.

— « Et si nous leur posions la question contraire : « Ô hommes, quand vous dites que certaines choses bonnes sont douloureuses, de quoi voulez-vous parler ? des exercices du gymnase, du service militaire, des traitements médicaux comportant l’emploi du fer et du feu, les drogues répugnantes et la diète : c’est là ce que vous appelez des choses à la fois bonnes et douloureuses ? » ils le reconnaîtraient je pense ? » — Protagoras fut de mon avis. — « Mais ces choses, les appelez-vous bonnes en raison des souffrances pénibles et cruelles qu’elles vous imposent sur le moment, ou parce qu’elles vous assurent pour la suite la santé, le bien-être physique, la force des cités, l’empire sur les autres et la richesse ? » Je pense qu’ils me l’accorderaient. » — Protagoras en convint. — « Et si elles sont bonnes, n’est-ce pas uniquement parce qu’elles aboutissent à procurer des plaisirs, à écarter et à prévenir des souffrances ? Pouvez-vous m’indiquer autre chose que des plaisirs ou des souffrances sur quoi vous jetez finalement les yeux quand vous les déclarez bonnes[1] ? »

  1. On voit ici en quel sens Socrate admet l’identité du plaisir et du bien ; combien aussi, malgré les apparences, il est loin du point de vue qu’il combat chez Calliclès dans le Gorgias 495 a-500 a.