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PROTAGORAS

peut, comme la puissance, être chez un homme l’effet de la science, ou de la passion ou de la folie, tandis que le courage vient de la nature et d’une bonne nourriture de l’âme. »


Socrate pose la question d’une manière un peu différente en introduisant l’idée du bonheur.

— « Protagoras, lui dis-je, admets-tu que, parmi les hommes, les uns vivent heureux, les autres malheureux ? » — Il en convint. — « Crois-tu qu’on puisse vivre heureux si l’on est en proie à des chagrins ou à des souffrances ? » — « Non. » — « Et si l’on arrive au terme de sa vie après une existence tout entière agréable, ne crois-tu pas qu’on a ainsi mené une vie heureuse ? » — « Je le crois, » dit-il. — « Ainsi, vivre agréablement est un bien et le contraire est un mal ? » — « C’est un bien si les choses où l’on se plaît sont belles. » — « Quoi ! Protagoras ! estimes-tu, comme la plupart des hommes, que certaines choses agréables soient mauvaises et que d’autres, qui sont désagréables, soient bonnes ? Je dirais plutôt : en tant qu’agréable, une chose n’est-elle pas bonne en cela même, quoi qu’il puisse en sortir d’ailleurs ? Et, par contre, les choses désagréables ne sont-elles pas mauvaises de la même manière, en tant qu’elles sont désagréables ? » — « Je ne sais trop, Socrate, si je dois te répondre, par une formule aussi simple que celle de ta question, que toutes les choses agréables sont bonnes et toutes les désagréables, mauvaises. Il me semble qu’il est plus prudent d’ajuster ma réponse non seulement à ta question présente, mais aussi à l’expérience de toute ma vie, et de te dire que parmi les choses agréables il en est qui ne sont point bonnes, de même que parmi les désagréables il en est qui ne sont point mauvaises, et d’autres qui le sont, et qu’enfin, en troisième lieu, il en est d’indifférentes, ni bonnes ni mauvaises. »

— « N’appelles-tu pas agréable, repris-je, ce qui comporte du plaisir ou produit du plaisir ? » — « Assurément, » dit-il. — « Eh bien, quand je demande si l’agréable n’est pas bon en tant qu’agréable, c’est comme si je demandais si le plaisir en soi n’est pas bon. » — « Examinons la chose, Socrate, suivant ton précepte habituel, et si l’examen nous donne raison, si l’agréable et le bon nous apparaissent comme identiques, nous en tomberons d’accord ; sinon, nous discuterons. » —