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PROTAGORAS


Appel à Prodicos sur le sens d’un mot.

Je lui répondis : « Par Zeus, il est fort à propos que Prodicos se soit trouvé présent à notre entretien. Car la science de Prodicos, mon cher Protagoras, paraît bien être une science d’origine divine, qu’elle remonte à Simonide ou qu’elle soit plus ancienne encore. Toi qui sais tant de choses, tu ne sembles pas la connaître, en quoi tu diffères de moi, qui l’ai apprise de Prodicos, mon maître. En ce moment même, tu n’as pas l’air de te douter que ce mot de « difficile » a pu être pris par Simonide dans un autre sens que celui que tu lui donnes, comme il m’arrive avec le mot « terrible[1] », au sujet duquel Prodicos me redresse en chaque occasion : quand je le loue, toi ou tout autre, en disant « Protagoras est un terrible savant », il me demande si je n’ai pas honte d’appeler « terrible » ce qui est bon. Ce qui est terrible, dit-il, est mauvais ; personne ne parle d’une terrible richesse, d’une terrible paix ou d’une terrible santé, mais on dit une terrible maladie, une terrible guerre, une terrible pauvreté, parce qu’on donne à ce mot un sens défavorable. Qui sait si le mot « difficile », à Céos et pour Simonide, ne désigne pas un mal ou quelque autre chose que tu ignores ? Interrogeons là-dessus Prodicos : c’est lui qu’il faut interroger sur le langage de Simonide.

« Prodicos, qu’est-ce que Simonide entendait par « difficile » ? — « Un mal, » dit-il. — « C’est donc pour cela, Prodicos, repris-je, qu’il blâme Pittacos de dire qu’il est difficile d’être bon, ce qui équivaudrait à dire que c’est un mal d’être bon. » — « Quel autre sens, Socrate, peux-tu donner à la phrase et quelle intention autre attribuer à Simonide que celle de reprocher à Pittacos de ne pas bien distinguer la signification propre à chaque mot en sa qualité de Lesbien, nourri dans une langue barbare ? » — « Tu entends, Protagoras, ce que dit Prodicos. As-tu quelque chose à répondre ? » — Alors Protagoras : « Il s’en faut de tout, Prodicos, que ton explication soit exacte : je suis parfaitement certain que Simonide employait le mot « difficile » comme nous l’employons tous, pour désigner non ce qui

  1. Les adjectifs χαλεπός et δεινός se prêtent, en effet, à des emplois variés ; mais la discussion ici n’est pas sérieuse et n’éclaire pas le texte de Simonide.