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PROTAGORAS

se montre peu désireux de répondre uniquement à la question posée, c’est à lui que nous adresserons ensemble, vous et moi, la prière que vous m’adressiez tout à l’heure, de ne pas rompre l’entretien. En cette affaire, il n’est pas besoin d’un président unique : vous présiderez tous à la fois. »

Tout le monde fut d’avis de procéder ainsi ; Protagoras, bien malgré lui, se vit forcé de consentir à poser d’abord des questions, et ensuite, quand il aurait suffisamment interrogé, à répondre brièvement pour s’expliquer.

Voici donc comment il débuta dans son rôle d’interrogateur.


Protagoras interroge Socrate sur des vers de Simonide.

« Je crois quant à moi, Socrate, dit-il, qu’une partie importante de l’éducation consiste pour chacun à être un connaisseur en poésie : je veux dire par là qu’il faut, dans les œuvres des poètes, savoir reconnaître le bon et le mauvais, pouvoir distinguer l’un de l’autre, et être capable d’en donner les raisons à qui les demande. Ma présente interrogation portera donc sur le sujet même de notre entretien précédent, la vertu, mais traduit en poésie : ce sera la seule différence.

« Simonide dit quelque part à Scopas, fils de Créon le Thessalien :

Sans doute devenir honnête homme véritablement est difficile,
Carré des pieds, des mains et de l’esprit, ouvré sans faute[1].

Tu connais cette ode ? ou dois-je te la réciter tout entière ? » — « Inutile, lui dis-je ; je la connais, et il se trouve que je l’ai beaucoup étudiée. » — « Tant mieux, dit-il. Eh bien, comment la juges-tu ? Bien faite et belle, ou le contraire ? » — « Parfaitement belle et bien faite. » — « Estimes-tu qu’elle soit bien faite si le poète s’y contredit lui-même ? » — « Elle serait mal faite. » — « Examine-la donc de plus près. » — « Mon cher, je l’ai suffisamment étudiée. »

  1. Sauf quelques vers omis après ce début, le poème, un scolie, paraît intégralement résumé ; mais la discussion l’obscurcit. On en prendra une idée d’ensemble dans A. et M. Croiset, Histoire de la Littérature grecque, II, p. 349. Pour le commentaire détaillé, voir U. von Wilamowitz-Mœllendorff, Sapho und Simonides, p. 159.