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HIPPIAS MAJEUR

fussent belles et que chacune prise à part le fût aussi. » Réponds-moi comme si tu lui parlais.

Hippias. — Je lui réponds qu’il me paraît avoir raison.

Socrate. — Un caractère commun à ces deux plaisirs, mais étranger à chacun en particulier, ne saurait être cause de leur beauté ?

Hippias. — Comment veux-tu, Socrate, qu’un caractère étranger à deux objets pris à part soit commun à ces deux objets, si ni l’un ni l’autre ne le possède ?

Socrate. — Tu n’estimes pas que ce soit possible ?

Hippias. — Je ne puis imaginer ni la nature de pareils objets ni ce qu’expriment ces expressions.

Socrate. — Très joliment dit, Hippias[1]. Pour moi, je crois entrevoir quelque chose qui ressemble à ce que tu déclares impossible, mais je ne vois rien clairement.

Hippias. — Il n’y a là nulle apparence, Socrate ; ta vue te trompe très certainement.


Les deux sortes de ressemblances entre les choses.

Socrate. — Mon esprit cependant aperçoit certaines images, mais je ne m’y fie pas, puisqu’elles ne te sont pas visibles, à toi qui as gagné par ta science plus d’argent qu’aucun de tes contemporains, tandis que moi, qui les vois, je n’ai jamais gagné la moindre somme. Mais je me demande si tu parles sérieusement, mon ami, ou si tu ne prends pas plaisir à me tromper, tant ces visions m’apparaissent avec force et en nombre.

Hippias. — Tu as un moyen sûr, Socrate, de savoir si je plaisante ou non : c’est de m’expliquer ce que tu crois voir : l’inanité de ton discours apparaîtra. Car tu ne trouveras jamais une qualité qui soit étrangère à chacun de nous et que nous possédions tous deux.

Socrate. — Que veux-tu dire, Hippias ? Tu as peut-être raison, mais je ne te comprends pas. Quoi qu’il en soit, je vais t’expliquer ma pensée. Il me semble donc qu’une certaine qualité que je n’ai jamais trouvée en moi, que je ne possède pas en ce moment, ni toi non plus, peut se trouver

  1. Le compliment ironique de Socrate s’applique à un rapprochement de mots (λέξεως λόγων) que le français ne peut reproduire qu’imparfaitement.