de secours et il deviendrait évident par là que c’était le mal qui nous rendait le bien précieux et cher, parce que celui-ci était le remède de la maladie qu’était le mal : mais, la maladie supprimée, le remède n’a plus d’objet. En est-il ainsi du bien ? Est-il vrai que c’est à cause du mal qu’il est aimé de nous, qui sommes à mi-chemin du bien et du mal, et que par lui-même il n’est d’aucun usage ? » — « Il semble, dit-il, que ce soit la vérité. » — « Ainsi donc, cet objet de notre amour auquel aboutiraient toutes nos autres amitiés, toutes celles qui n’existent suivant nous qu’en vue d’une autre fin qu’elles-mêmes, cet objet ne ressemble en rien aux autres. Ceux-ci, en effet sont appelés amis en vue d’un autre objet ami, tandis que l’amitié en soi aurait un caractère tout opposé, puisque la cause en serait dans un objet ennemi. De sorte que, l’ennemi disparaissant, l’amitié aussi s’évanouirait. » — « Il me semble, en effet, qu’il n’y en aurait pas, à raisonner ainsi. »
— « Par Zeus, repris-je, si le mal disparaissait, que deviendraient la faim et la soif, et les autres besoins du même genre ? Seraient-ils supprimés ? Ou bien la faim subsisterait-elle tant qu’il y aurait des hommes et des animaux, mais en cessant d’être nuisible ? La soif et les autres désirs, tout en subsistant, cesseraient-ils de faire du mal, puisque le mal aurait disparu ? Ou bien est-il ridicule de poser une question sur ce qui sera ou ne sera pas dans un état de choses que personne ne connaît ? Tout ce que nous savons, c’est qu’aujourd’hui la faim fait parfois du mal et parfois est utile. Est-ce vrai ? » — « Tout à fait. » — « De même, la soif et ce genre de désirs comporte tantôt du mal, tantôt du bien, tantôt ni l’un ni l’autre ? » — « Absolument. » — « Alors, pourquoi la suppression du mal entraînerait-elle à sa suite la suppression de ce qui n’est pas un mal ? » — « Aucune nécessité, en effet. » — « Donc, même après la suppression du mal, les désirs qui ne sont ni bons ni mauvais subsisteront ? » — « Probablement. » — « Est-il donc possible, si l’on éprouve des désirs et des passions, de ne pas aimer les choses que l’on désire et vers lesquelles on est porté par la passion ? » —
quel motif aurions-nous de l’aimer ? Si nous ne voulons pas expliquer l’amour du bien par l’horreur du mal, il faut trouver à cet amour une autre explication. Et ainsi est introduite la notion nouvelle de convenance.