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LYSIS

médecine est un bien, que c’est en vue de la santé qu’on l’aime, et que la santé elle-même est bonne. Est-ce vrai ? » — « Oui. » — « La santé est-elle amie ou ennemie ? » — « Elle est amie. » — « Et la maladie est ennemie ? » — « Certainement. » — « Ainsi donc, ce qui n’est ni bon ni mauvais est ami du bon, à cause du mauvais et de l’ennemi, en vue du bon et de l’ami ? » — « C’est vraisemblable. » — « De sorte qu’en définitive c’est en vue de ce qu’il aime que l’ami est ami, à cause de ce qu’il déteste ? » — « Je le crois. » — « Soit, dis-je. Et maintenant, mes enfants, attention à ne pas nous laisser égarer.

Que l’ami soit l’ami de l’ami, et qu’ainsi le semblable aime le semblable, je laisse cela de côté, bien que nous ayons dit tout à l’heure que c’était chose impossible. Mais voici qui mérite examen si nous voulons éviter de nous tromper. La médecine, disons-nous, est aimée en vue de la santé. » — « Oui. — « Donc la santé est aimée. » — « Oui. » — « Si elle est aimée, c’est en vue de quelque chose. » — « Oui. » — « D’une chose qui est aimée de nous, si nous voulons être conséquents avec nos précédentes déclarations. » — « Assurément. » — « Donc cette chose elle-même est aimée en vue d’une autre que nous aimons ». — « Oui. » — « Mais ne sommes-nous pas entraînés ainsi dans une progression sans fin, à moins que nous ne finissions par atteindre un point initial au delà duquel nous ne soyons plus renvoyés à un autre objet ami, et qui soit le principe même de toute amitié, l’objet en vue duquel nous disons que nous aimons tous les autres[1] ? » — « C’est inévitable. » — « Voilà pourquoi je me demandais si tous ces autres objets, que nous appelions amis en ne visant que lui, n’en étaient pas de simples fantômes qui nous égaraient, et si ce premier principe n’était pas la seule chose qui nous fût véritablement amie. Réfléchissons, en effet : imaginons une chose qu’on mette au-dessus de tout, un fils, par exemple, que son père préfère à toutes ses richesses : ce père, à cause de sa préférence pour son fils, sera conduit à mettre certaines choses à très haut prix. S’il voit que son fils

  1. Cette nécessité d’atteindre un premier principe, au delà duquel il ne soit pas nécessaire de remonter indéfiniment, a été exprimée par Aristote dans la formule célèbre : ἀνάγκη στῆναι. Le premier principe de tout mouvement, pour Aristote, est Dieu, qui attire tout par l’amour.