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LYSIS

traire, non à son semblable : le sec à l’humide, le froid au chaud, l’amer au doux, l’aigu à l’émoussé, le vide au plein, le plein au vide ; et ainsi de suite, attendu que le contraire se nourrissait du contraire, tandis que le semblable n’avait aucun profit à tirer du semblable. Et certes, mon cher, en parlant de la sorte, il faisait de l’effet, car il parlait bien[1]. Mais vous, dis-je, que vous en semble ? » — « C’est fort beau, dit Ménexène, à l’entendre ainsi présenter. » — « Dirons-nous donc que le contraire est essentiellement l’ami du contraire ? » — « Sans doute. »

— « Soit. Mais ne trouves-tu là rien d’étrange, Ménexène ? Quelle joie nous allons procurer à ces merveilleux savants, les dénicheurs de contradictions[2] ! Comme ils vont se jeter sur nous et nous demander s’il est rien qui soit plus contradictoire que l’hostilité et l’amitié ! Que leur répondrons-nous ? Ne serons-nous pas forcés d’avouer qu’ils ont raison ? » — « Évidemment. » — « Quoi ! diront-ils, l’ennemi est ami de l’ami, et l’ami est ami de l’ennemi ? » — « Ni l’un ni l’autre. » — « Le juste est ami de l’injuste, la tempérance de l’intempérance, le bien du mal ? » — « Il me paraît impossible qu’il en soit ainsi. » — « Cependant, si c’est de l’opposition que naît l’amitié, il faut bien que ces choses opposées soient amies. » — « La conséquence est forcée, en effet. » — « Ainsi, ni le semblable n’est ami du semblable, ni le contraire ne l’est du contraire. » — « Cela paraît probable. »


Le beau et le bien.

— « Poursuivons notre recherche. Peut-être l’amitié est-elle tout autre chose que ce que nous supposons : ce qui devient ami du bien, c’est peut-être ce qui n’est ni le bien ni le mal. » — « Comment l’entends-tu ? » — « Par Zeus, je n’en sais rien ; j’ai comme le vertige au milieu de ces obscurités du raisonnement, et je me demande s’il ne faut pas dire, avec le vieux proverbe, que le beau nous est ami. Mais le beau ressemble à un corps souple, lisse et frotté d’huile : il glisse entre nos mains et nous échappe, conformément à sa nature. Je dis donc que le bien est beau. N’est-ce pas ton avis ? » — « Tout à fait. »

  1. Ces théories sont celles d’Héraclite d’Éphèse.
  2. Allusion probable à quelque ouvrage sophistique sur les antilogies.