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de Darius, tant je suis avide d’amitié. Aussi, quand je vous vois, Lysis et toi, je suis émerveillé et je vous proclame parfaitement heureux, d’avoir pu, tout jeunes, acquérir si vite et si facilement un pareil bien : toi, Ménexène, l’amitié si prompte et si profonde de Lysis, et Lysis la tienne. Pour moi, je suis si loin d’un pareil bonheur que je ne sais même pas comment on devient amis, et c’est la question que je veux te poser, à toi qui le sais par expérience[1].


L’ami est‑il celui qui aime ou celui qui est aimé ?

Réponds-moi donc : Quand quelqu’un en aime un autre, lequel est l’ami, celui qui aime, ou celui qui est aimé ? Ou bien n’y a-t-il aucune différence ? » — « À mon avis, dit-il, la distinction est impossible. » — « Que veux-tu dire ? Tous les deux, selon toi, deviendraient amis par cela seul que l’un des deux aimerait l’autre ? » — « Oui, dit-il, à ce qu’il me semble ». — « Comment ? ne peut-il arriver qu’on aime sans être payé de retour ? » — « Oui. » — « Et même que l’amour excite de la haine ? C’est un sort que subissent, semble-t-il, nombre d’amants de la part de l’aimé : ils aiment avec passion et se croient ou dédaignés ou même détestés. N’est-ce pas ton opinion ? » — « C’est la vérité même. » — « Ainsi, dans ce cas, l’un aime et l’autre est aimé ? » — « Oui. » — « Lequel des deux est l’ami de l’autre ? celui qui aime, qu’il soit dédaigné ou haï, ou celui qui est aimé ? ou bien, dans ce cas, l’amitié existe-t-elle encore, si elle n’est pas réciproque ? » — « Je crois qu’elle n’existe plus. » — « Alors, nous arrivons à contredire notre opinion précédente. Car, tout à l’heure, nous disions que si l’un des deux aimait, tous deux étaient amis, et maintenant nous disons que, si tous deux n’aiment pas, ni l’un ni l’autre ne sont amis. » — « Je le crains, dit-il. » — « Ainsi, pas d’amitié si celui qui aime n’est payé de retour ? » — « C’est probable. »

— « D’où il suit que nul ne peut être ami des chevaux si les

    des conditions extérieures de l’amitié ou le profit qu’elle procure ; il s’agit d’en analyser les causes générales et profondes, quelles que soient les formes variables qu’elle puisse revêtir.

  1. Socrate s’adresse avant tout, en toute matière, à l’expérience personnelle de son interlocuteur.