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Hippias. — Quelle autre raison imaginer, Socrate, sinon l’impuissance de leur esprit, dincapable d’atteindre à la fois ce double objet, les choses publiques et les choses privées ?

Socrate. — Faut-il donc croire, par Zeus, qu’au progrès de tous les arts et à la supériorité de nos artisans sur ceux de jadis, corresponde un égal progrès dans votre art, à vous autres sophistes, et que les anciens, en matière de science, soient médiocres auprès de vous ?

Hippias. — C’est la vérité même, Socrate.

Socrate — Ainsi donc, Hippias, si Bias revenait à la vie, il ferait rire de lui, 282comparé à vous, de même que Dédale, au dire des sculpteurs, s’il créait aujourd’hui les œuvres qui l’ont rendu célèbre, ne récolterait que moqueries ?

Hippias. — Oui, Socrate, il en serait comme tu le dis. J’ai cependant l’habitude, pour ma part, à l’égard des anciens et de ceux qui ont vécu avant nous, de les louer avant nos contemporains et plus volontiers que ceux-ci, pour prévenir la jalousie des vivants et pour éviter le ressentiment des morts.

bSocrate — Tu fais sagement, Hippias, de penser et de raisonner ainsi, à ce qu’il me semble. Je puis apporter mon témoignage en faveur de ton opinion et certifier qu’en effet votre art a fait de grands progrès dans l’habileté à concilier le soin des affaires publiques avec celui des intérêts privés. Gorgias, par exemple, le sophiste de Léontium, venu ici comme ambassadeur de son pays et choisi comme le plus capable de défendre les intérêts des Léontins, s’est montré dans l’assemblée du peuple excellent orateur, et en même temps, par ses séances privées et ses entretiens avec les jeunes gens, a su ramasser de fortes sommes qu’il a remportées d’Athènes. Si tu veux un autre exemple, cmon ami Prodicos[1], parmi beaucoup d’ambassades en divers lieux, vient tout récemment d’être envoyé ici par ses concitoyens de Céos, et en même temps que son éloquence devant le Conseil des Cinq-Cents le couvrait de gloire, il donnait des auditions privées

  1. D’après Platon (Théétète, 151 b), Socrate renvoyait volontiers à « son ami » Prodicos les jeunes gens mieux doués pour la morale pratique que pour la véritable science. Prodicos était surtout célèbre pour ses distinctions subtiles entre mots synonymes, et Platon y fait plus d’une fois allusion.