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LACHÈS

un temple ou dans une autre réunion du même genre[1]. Depuis qu’il a pris de l’âge, il est clair que tu ne l’as jamais rencontré.

Lysimaque. — Pourquoi cela, Nicias ?

Nicias. — Parce que tu me parais ignorer que, si l’on appartient au groupe intime et, pour ainsi dire, à la famille des interlocuteurs habituels de Socrate, on est forcé, quel que soit le sujet qu’on entame d’abord, de se laisser ramener par le fil de l’entretien à des explications sur soi-même, sur son propre genre de vie et sur toute son existence antérieure. Quand on en est arrivé là, Socrate ne vous lâche plus avant d’avoir tout passé au crible de la belle façon. Pour moi, qui ai l’habitude du personnage, je sais qu’on ne peut éviter d’être ainsi traité et je vois clairement que je n’y échapperai pas moi non plus. Car je me plais, Lysimaque, dans sa compagnie, et je ne trouve pas mauvais d’être remis en mémoire du bien ou du mal que j’ai fait ou que je fais encore ; j’estime qu’à subir cette épreuve on devient plus prudent pour l’avenir, si l’on est disposé, selon le précepte de Solon, à apprendre durant toute sa vie[2], et à ne pas croire que la vieillesse toute seule nous apporte la sagesse. Subir l’examen de Socrate n’est pour moi ni une nouveauté ni un désagrément : je savais depuis longtemps qu’avec Socrate ce ne seraient pas seulement les jeunes gens qui seraient mis en cause, mais que nous y passerions aussi. Je le répète donc : en ce qui me concerne, je ne m’oppose pas à ce que Socrate s’entretienne avec nous de la manière qui lui plaira. Mais il faut voir ce qu’en pense Lachès.

Lachès. — En matière de discours, Nicias, mon cas est simple, ou, si tu le préfères, il est double. J’ai l’air tantôt d’aimer les discours et tantôt de les détester. Quand j’entends discourir sur la vertu ou sur quelque science un homme qui est vraiment un homme et digne de ses discours,

  1. Les dèmes athéniens, jadis indépendants les uns des autres avant leur réunion en une seule cité, n’avaient plus, au cinquième siècle, de vie politique, mais ils conservaient une vie municipale et religieuse assez active.
  2. Solon avait dit, dans un vers souvent cité, « en vieillissant, j’apprends toujours quelque chose » :

    Γηράσκω δ’ αἰεὶ πολλὰ διδασκόμενος.