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CHARMIDE

examinons de plus près si, dans ces conditions, elle peut nous être utile. Nous disions tout à l’heure qu’une telle sagesse serait un grand bien si elle dirigeait l’administration d’une maison ou d’une cité ; mais je ne crois plus, mon cher Critias, que nous eussions raison de le dire. » — « Comment cela ? » dit-il. — « C’est que nous avons trop facilement accordé qu’il y aurait grand avantage pour tout le monde à ce que chacun fît la tâche qu’il connaissait et laissât les autres aux hommes compétents. » — « Eh quoi ? dit-il ; nous aurions eu tort de penser ainsi ? » — « Je le crains. » — « Vraiment, mon cher Socrate, c’est ton langage qui est étrange ! » — « Par le chien[1] ! c’est bien aussi mon avis, et c’est en apercevant ces choses tout à l’heure que je te disais l’étrangeté de la vision qui m’apparaissait et ma crainte de nous être fourvoyés. Car, en vérité, si la sagesse est bien telle, je ne vois pas du tout quel avantage elle peut nous apporter. » — « Que veux-tu dire ? » reprit-il. « Parle, si tu veux que nous te comprenions. » — « Je crois que je divague : cependant l’idée qui m’apparaît doit être vérifiée et non rejetée sans examen, si nous avons quelque souci de nous-mêmes. » — « Tu as raison. »


Épilogue. Résumé de Socrate et conclusion.

— « Écoute-donc mon rêve, qu’il soit venu par la porte de corne ou par la porte d’ivoire[2]. Si la sagesse, telle que nous l’avons définie, venait à régner souverainement en toutes choses, quel en serait l’effet dans tous les arts ? Plus de soi-disant pilote qui pût nous tromper ; plus de médecin, plus de général, plus de savants en aucun genre dont la fausse science pût nous en imposer. De là, que résulterait-il pour nous, sinon de nous mieux

    avait lieu, elle aboutirait à l’affirmative ; mais elle est sans grand intérêt pour Socrate qui ne considère comme vraiment utile que la science du bien.

  1. Juron familier de Socrate.
  2. La porte de corne donnait passage aux songes véridiques envoyés aux hommes par les dieux, la porte d’ivoire aux songes trompeurs (Homère, Odyssée, XIX, 564-567). C’est Pénélope qui donne à Ulysse, non encore reconnu d’elle, cette explication, à propos d’un songe encourageant qu’elle a eu, mais auquel elle n’ose se fier.