Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome II.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
166 c
69
CHARMIDE

te défendais tout à l’heure : tu cherches à me réfuter, sans souci du sujet même de la discussion. » — « Ton erreur est grande, repris-je, si tu crois qu’en essayant de te réfuter j’obéisse à un autre motif que celui qui me ferait examiner la valeur de mes propres idées, je veux dire la crainte de croire savoir ce que j’ignore en réalité. Je t’affirme qu’en ce moment même c’est ce que je fais et que si je discute ton raisonnement, c’est d’abord dans mon intérêt propre, et peut-être aussi dans l’intérêt de nos amis : car n’est-ce pas, à ton avis, un avantage pour tout le monde que nulle obscurité ne subsiste sur la vérité des choses ? » — « C’est tout à fait mon avis, Socrate. » — « Courage donc, mon très cher, et réponds à mes questions selon ce qui te semble vrai, sans te soucier de savoir si c’est Critias ou Socrate qui est convaincu d’erreur : attache-toi au seul raisonnement et que la conclusion de l’examen soit ce qu’elle pourra. » — « Soit, dit-il, j’y consens ; ton idée me paraît raisonnable. » — « Eh bien, repris-je, dis-moi ce que tu penses de la sagesse. »


Reprise de la discussion sur la définition de Critias, modifiée et élargie.

— « Je dis donc, reprit-il, que, seule entre toutes les sciences, la sagesse a pour objet à la fois elle-même et toutes les autres sciences. » — « Ainsi, dis-je, étant la science de toutes les connaissances, elle est aussi la science de l’ignorance ? » — « Assurément. » — « Le sage, par conséquent, seul entre tous, est capable de se connaître, de s’examiner lui-même de manière à se rendre compte de ce qu’il sait et de ce qu’il ignore ; et il est capable aussi d’examiner les autres sur ce qu’ils savent ou croient savoir, de manière à reconnaître ce qu’ils savent réellement et au contraire ce qu’ils ignorent en croyant le savoir ; et cela, le sage seul peut le faire. De sorte que la sagesse et la connaissance de soi-même consistent à savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas. Est-ce bien là ta pensée ? » — « Oui, » dit-il. — « Revenons sur nos pas, lui dis-je : le troisième coup est le bon[1]. Reprenons notre examen du début et voyons d’abord s’il est possible, oui ou non, de reconnaître qu’on a ou qu’on n’a

  1. Littéralement : la troisième (coupe) au dieu sauveur. Locution proverbiale empruntée à une coutume des banquets.