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toute ta vie, il y a longtemps que j’aurais cessé de t’aimer, j’en 105 suis sûr. Mais je prétends te démontrer à toi-même que tu as d’autres vues, et tu reconnaîtras par là avec quelle attention je n’ai cessé de t’observer. Voici mon idée : si quelque dieu te disait : « Que préfères-tu, Alcibiade ? continuer à vivre avec ce que tu as maintenant, ou mourir sur l’heure, ne pouvant rien acquérir de plus ? » oh ! je crois bien que tu préférerais mourir. Quel est donc l’espoir qui te fait vivre ? je vais te le dire. Tu penses que si, un de ces jours, tu prends la parole devant le peuple — et tu comptes bien le faire très b prochainement — tu convaincras les Athéniens, du premier coup, que tu mérites bien plus de considération que Périclès ou tout autre avant lui, et tu te dis que, dès lors, tu seras tout puissant dans cette ville. Et si tu es puissant chez nous, tu le seras aussi chez les autres Grecs ; que dis-je ? non seulement chez les Grecs, mais encore chez les barbares qui habitent le même continent que nous. Seulement, si le même dieu te disait ensuite que tu dois te contenter de régner ici, en Europe, mais qu’il ne te sera pas donné de passer en Asie c ni de rien entreprendre là-bas, j’imagine qu’à ces conditions-là même tu ne voudrais pas vivre, ne pouvant remplir presque toute la terre de ton nom et de ta puissance. Oui, je crois qu’à l’exception de Cyrus et de Xerxès, aucun homme ne te paraît avoir été vraiment digne de considération. Telles sont tes espérances ; je ne le soupçonne pas ; j’en suis sûr. Mais peut-être me demanderas-tu, sachant bien que je dis vrai : « Quel rapport, Socrate, entre tout ceci et ce que tu voulais d me dire de ton obstination à ne pas me quitter ? » Je te répondrai donc : « Cher fils de Clinias et de Dinomaché, c’est qu’il est impossible que tu réalises sans moi tous ces projets, tant est grande la puissance dont je crois disposer pour tes intérêts et ta personne. Ainsi s’explique, si je ne me trompe, que le dieu depuis si longtemps m’ait empêché de te parler, et que j’aie attendu, moi, sa permission. Car si, toi, tu mets tes espérances dans le peuple, pensant lui démontrer que e tu es précieux pour lui et par là acquérir sur-le-champ pleine puissance sur lui, j’espère, de

    ment à la chronologie, représente ici la puissance de Périclès dans les années qui précédèrent la guerre du Péloponnèse. — Dinomaché, mère d’Alcibiade, était de la famille des Alcméonides, fille de Mégaclès et petite-fille de Clisthène, qui renversa les Pisistratides.