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ALCIBIADE

désirs, par le dérèglement de sa vie, avait fait le malheur de son pays et le sien. Quel exemple alléguer qui fût plus décisif que celui-là ? Montrer qu’à l’entrée de la vie, il avait eu, comme Héraklès dans l’Apologue de Prodicos, le choix entre deux routes, et qu’en cédant à ses passions, il avait pris celle qui le menait à sa perte, n’était-ce pas donner à ses contemporains le meilleur des avertissements ? Accessoirement d’ailleurs, il trouvait là l’occasion de disculper Socrate, auquel des calomniateurs avaient voulu imputer une part de responsabilité dans le mal qu’Alcibiade avait fait à son pays.

Inspiré, comme on le voit, par les circonstances, ce dialogue n’en est pas moins, quant au fond, purement socratique. Platon n’ajoute aucune vue philosophique vraiment personnelle aux idées de son maître. Il se contente d’en faire l’application, sous forme indirecte, aux choses du jour.

Il y est démontré d’abord qu’on ne peut rien savoir sans l’avoir appris d’un maître ou découvert par un travail personnel. C’était là une des idées essentielles de Socrate. Plus tard, Platon devait la modifier, grâce à la notion pythagoricienne d’une vie antérieure et de la réminiscence ; il n’y a aucune trace de cela dans l’Alcibiade. L’identité du juste et de l’utile, qui est établie ensuite, est encore une affirmation socratique. Elle devait prendre chez Platon, dans la suite, une couleur mystique, par la conception du bien et du beau, révélés à l’âme dans une région supra-terrestre. Dans l’Alcibiade, elle s’offre à nous sous l’aspect, un peu terre-à-terre, d’une vérité d’expérience. C’est encore une théorie purement socratique que celle de l’erreur ramenée à l’ignorance, et plus précisément à l’ignorance fondamentale, qui consiste à croire que l’on sait ce que l’on ignore. On la retrouve dans l’Apologie, où elle est présentée comme une des idées directrices d’où Socrate a tiré la règle de sa vie. Enfin, l’importance attribuée au précepte delphique qui commandait à l’homme de se connaître lui-même et l’explication qui en est donnée ne manifestent pas moins l’influence dominante des enseignements du maître sur le disciple. C’est d’après lui qu’il interprète la valeur du mot « homme », en montrant que l’homme, au sens propre, c’est une âme, et que, dans l’âme, il faut distinguer la partie maîtresse, celle qui nous met en