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Hippias. — Socrate, voilà bien un de ces raisonnements que tu t’entends à tisser ! Tu détaches un morceau d’argumentation, le plus abstrus, tu t’y tiens, c tu t’y attaches de plus en plus, au lieu de t’en prendre à l’ensemble du sujet en discussion. Reprenons notre exemple : je vais te démontrer avec force preuves, si tu le veux, et en bonne forme, qu’Homère a représenté son Achille meilleur qu’Ulysse et incapable de tromperie, tandis que l’autre, il l’a fait rusé, usant sans cesse de mensonge et en somme inférieur à Achille. À ton tour, si bon te semble, oppose discours à discours, et démontre qu’Ulysse est supérieur. De la sorte, nos auditeurs sauront mieux lequel de nos discours est le meilleur.


Achille
plus trompeur
qu’Ulysse.

Socrate. — Hippias, je d ne conteste pas du tout que tu ne sois plus habile que moi. Ma coutume à moi, c’est, lorsque quelqu’un dit une chose, d’y donner toute mon attention, surtout quand celui qui parle me semble habile ; et, comme je désire m’instruire de ce qu’il dit, je le questionne obstinément, je retourne ses paroles, je les rapproche, pour les mieux comprendre. Au contraire, si mon interlocuteur me semble sans valeur, je m’en tiens à la première question et je ne me soucie pas de ce qu’il dit. Par là, tu reconnaîtras ceux que j’estime habiles. Car tu me verras alors m’attacher à leurs paroles, e les interroger, pour m’instruire et en tirer profit. C’est ainsi qu’en t’écoutant, j’ai remarqué les vers qui montraient, selon toi, comment Achille, en s’adressant à Ulysse, laisse voir qu’il le tient pour un vain discoureur ; et il me semblait étrange, si ce que tu disais était vrai, que nulle part chez Homère Ulysse, 370 l’homme à double face, ne dise une chose fausse, tandis qu’Achille, au contraire, se montre vraiment double comme tu dis. Car il est certain qu’il ment. Vois : il commence par prononcer les paroles que tu viens de citer :

« Oui, je déteste autant que les portes d’Aïdès celui qui cache une chose dans son esprit et en dit une autre. »

b Puis, peu après, il assure que ni Ulysse ni Agamemnon ne le feront changer de résolution, qu’en aucun cas il ne restera devant Troie :