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HIPPIAS MINEUR

tunique. Mais, ce qui étonnait le plus tous tes auditeurs, ce qui fit ressortir ton extraordinaire habileté, ce fut de t’entendre affirmer que la ceinture de ta tunique était identique à celle des plus riches femmes de la Perse et que tu l’avais tressée toi-même. En outre, tu annonçais que tu apportais des poèmes, épopées, tragédies, d dithyrambes, que sais-je encore ? beaucoup de discours en prose de toute espèce. Tu ajoutais, à propos des sciences dont je parlais à l’instant, que tu t’y entendais mieux que personne, ainsi qu’aux rythmes, aux modes musicaux, à la grammaire, et à quantité d’autres choses, si je m’en souviens bien. Ah ! j’oubliais, je crois, la mnémotechnie, dont tu te fais le plus d’honneur ; et combien d’autres choses, sans doute, qui ne me reviennent pas ! e Mais voici ce que je veux dire : dans toutes ces sciences que tu possèdes — combien nombreuses ! — et dans les autres, dis-moi, après ce que nous venons de constater ensemble, en trouves-tu une seule où celui qui dit vrai soit autre que celui qui trompe, où ce ne soit pas un seul et même homme ? Vois, considère toutes les formes d’habileté, toutes les roueries, 369 tout ce que tu voudras ; tu n’en trouveras pas, mon ami ; car il n’y en a pas. S’il y en a une, nomme-la.

Hippias. — Je n’en vois pas, Socrate, pour le moment.

Socrate. — Et tu n’en verras jamais, à mon avis. Si donc je dis vrai, rappelle-toi, Hippias, ce qui résulte de notre examen.

Hippias. — Je n’ai pas bien présent à l’esprit ce que tu veux dire, Socrate.

Socrate. — C’est apparemment que tu n’emploies pas ta mnémotechnie ; tu penses sans doute qu’il n’y a pas lieu. C’est donc moi qui rappellerai tes souvenirs. Tu disais[1] d’Achille qu’il était véridique, et b d’Ulysse qu’il était trompeur et double. Ne te le rappelles-tu pas ?

Hippias. — Si.

Socrate. — Or, à présent, il est hors de doute pour nous, tu le vois, que le même homme est trompeur et véridique ; de sorte que si Ulysse était trompeur, il devient en même temps véridique, et si Achille était véridique, il est trompeur ; bien loin d’être différents et contraires, nos deux personnages sont tout pareils.

  1. Cf. 364 c (p. 27).