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CRITON

Socrate. — Eh bien, ce qui s’améliore par un régime sain et se détériore par un régime malsain, si nous l’endommagions en obéissant à une opinion qui ne serait pas celle des gens entendus, pourrions-nous vivre avec e cette ruine ? C’est au corps que ceci se rapporte, n’est-ce pas ?

Criton. — Oui.

Socrate. — Or la vie est-elle possible avec un corps misérable et ruiné ?

Criton. — Non, assurément.

Socrate. — Dirons-nous alors qu’elle est possible, quand nous aurons ruiné ce qui se détériore par l’injustice et se trouve bien de la justice ? Ou bien attribuerons-nous plus de valeur au corps qu’à cette autre partie de nous-mêmes, quelle 48 qu’elle soit, à laquelle se rapportent l’injustice et la justice[1] ?

Criton. — Non certes.

Socrate. — N’est-elle pas beaucoup plus précieuse ?

Criton. — Beaucoup plus assurément.

Socrate. — Par conséquent, mon cher ami, ce n’est pas tant des propos du grand nombre qu’il faut nous soucier que du jugement de celui qui, seul, s’y connaît en fait de justice et d’injustice, en un mot, de la vérité pure[2]. Ainsi tu nous fais d’abord faire fausse route en nous invitant à nous soucier de ce que pense le grand nombre, quand il s’agit du juste, du beau, du bien et de leurs contraires. On nous dira peut-être, il est vrai, que le grand nombre est fort capable de nous faire périr.

Criton. — b Évidemment, on le dira, Socrate.

Socrate. — Oui, mon brave ami ; mais les raisons que nous avons alléguées me paraissent être toujours ce qu’elles étaient. Et cet autre principe encore, que l’essentiel n’est pas de vivre, mais de bien vivre, subsiste-t-il, oui ou non ?

Criton. — Vraiment, il subsiste.

Socrate. — Et la croyance que le bien, le beau, le juste ne font qu’un, subsiste-t-elle, oui ou non ?

  1. Si Platon, pour designer l’âme, se sert de cette périphrase, c’est, comme on le voit, pour faire ressortir que celle-ci peut subir un dommage autant que le corps.
  2. La vérité, conçue comme un attribut essentiel de Dieu, semble être ici identifiée à Dieu lui-même.