Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome I.djvu/370

Cette page a été validée par deux contributeurs.
222
CRITON

Criton. — Cela est incontestable.

Socrate. — Examinons encore ce qu’on voulait dire en parlant ainsi. Un homme qui s’exerce à la gymnastique et s’y adonne fait-il cas b des louanges, des critiques et de l’opinion du premier venu, ou bien seulement de celles du médecin ou du pédotribe[1] ?

Criton. — De celles-là seulement.

Socrate. — Ainsi la critique qu’il doit craindre, la louange qu’il doit accueillir, c’est uniquement celle d’un seul, de celui-là, et non celle du grand nombre.

Criton. — Évidemment.

Socrate. — De telle sorte qu’en fait de gymnastique, de régime alimentaire, de boisson, il doit agir conformément au jugement d’un seul, de l’homme qu’il a pris pour guide et qui s’y entend, plutôt que d’après celui de tous les autres ensemble.

Criton. — J’en conviens.

Socrate. — Bien. Mais s’il désobéit à celui-là, tout seul, s’il méprise c son opinion et ses louanges, et s’il fait plus de cas de celles du grand nombre qui n’y entend rien, n’en éprouvera-t-il aucun mal ?

Criton. — Si, assurément.

Socrate. — Quel genre de mal ? à quoi ce mal nuira-t-il ? où sera lésé celui qui n’écoute pas la raison ?

Criton. — Manifestement, dans son corps ; c’est son corps qu’il détruit peu à peu.

Socrate. — Fort bien. Et cela, Criton, est vrai aussi des autres choses, sans qu’il soit besoin de les énumérer toutes. Donc, quand il s’agit du juste et de l’injuste, du beau et du laid, du bien et du mal, qui sont l’objet même sur lequel nous délibérons, est-ce l’opinion du grand nombre qu’il nous faut d suivre et craindre, ou bien celle du seul juge qui s’y connaît, s’il en est un, du seul que l’on doit respecter et redouter plus que tous les autres ensemble ? J’entends celui à qui nous ne pourrons désobéir sans détériorer, sans endommager ce qui, comme nous le disions, s’améliore par la justice, se perd par l’injustice. N’est-ce là qu’une idée vaine ?

Criton. — Je pense comme toi, Socrate.

  1. Le pédotribe dirigeait méthodiquement dans la palestre les exercices des enfants et des jeunes gens.