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CRITON

que je faisais valoir jusqu’ici, je ne peux les rejeter maintenant, parce qu’il m’est arrivé du nouveau ; non, ils m’apparaissent sensiblement identiques. Ceux qui s’imposaient à mon respect hier c ont pour moi même autorité aujourd’hui. Si donc nous n’avons rien de mieux à dire dans la circonstance présente, sache bien que je ne te céderai pas, quand même la puissance du grand nombre essaierait de nous terrifier comme des enfants en multipliant ses épouvantails, en évoquant les emprisonnements, les supplices, les confiscations. Voyons donc ; comment ferons-nous cet examen le mieux possible ? N’est-ce pas en reprenant tout d’abord l’idée que tu exprimais, au sujet des jugements des hommes ? avions-nous raison ou tort de répéter qu’il y a des jugements dont il faut tenir compte, d d’autres non ? Ou bien, cette affirmation qui était bonne tant que je n’étais pas sur le point de mourir, devons-nous constater, à présent, qu’elle n’était qu’un thème oratoire, simple bavardage, paroles en l’air ? Vraiment, je désire que nous examinions de près, toi et moi, Criton, si cette assertion va prendre un nouvel aspect en raison de ma situation ou si elle restera ce qu’elle était, si nous la rejetterons ou si nous en ferons notre loi. Eh bien donc, voici à peu près, si je ne me trompe, ce qu’affirmaient sur ce point les gens sérieux, et ce que je viens d’affirmer moi-même : c’est que, parmi les jugements des hommes, il en est dont il faut e tenir grand compte, d’autres non. Cette assertion, Criton, dis-moi, par les dieux, ne te semble-t-elle pas toujours bonne ? car toi, autant qu’on peut prévoir une destinée humaine, tu n’es pas exposé à mourir 47 demain ; et, par conséquent, il n’est pas à craindre que la vue d’un danger imminent t’empêche de reconnaître la vérité. Décide donc. N’a-t-on pas, à ton avis, toute raison de dire que tous les jugements des hommes ne sont pas dignes de considération, mais que les uns le sont, les autres non, que ceux de quelques-uns le sont, ceux des autres non. Qu’en dis-tu ? N’est-ce pas là ce qui est vrai ?

Criton. — C’est la vérité.

Socrate. — Ceux qui méritent considération, ce sont les bons ? les mauvais, non ?

Criton. — En effet.

Socrate. — Et les bons jugements sont ceux des hommes de sens ? les mauvais, ceux des autres ?