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CRITON

teur du Criton. Et, sans doute, dès qu’il l’eut conçue, il sentit quelle occasion elle lui offrait de révéler le véritable caractère de Socrate dans toute sa beauté, en faisant assister ses lecteurs à une de ces délibérations intimes où cette admirable conscience se jugeait elle-même et se décidait.

Il est important, pour bien apprécier ce dialogue, de ne pas méconnaître ce qu’il y a de particulier et même de personnel dans cette conception. C’est le mal comprendre que d’y voir une sorte de thèse abstraite sur le respect dû à la loi par le citoyen. Sans doute, dans les principes exposés par Socrate, il en est qui ont une portée générale ; mais la plupart des considérations décisives lui sont personnelles ; et les principes généraux eux-mêmes sont rapportés par lui à des affirmations antérieures d’où ils dérivent. Ils s’offrent donc à nous comme les parties d’une doctrine où tout se tenait. Ce qui apparaît au premier plan, c’est la volonté, chez celui qui parle, de rester en accord avec lui-même ; en d’autres termes, de ne pas se laisser mener au hasard par les événements, de demeurer jusqu’à la fin le maître et le directeur de sa conduite. La parfaite unité de la vie de Socrate, sa fidélité héroïque et absolue aux maximes qu’il avait reconnues bonnes et vraies, sa résolution ferme de ne jamais s’en écarter en rien, en un mot l’intransigeance, simple et douce, d’un parfait honnête homme, qui voulait l’être dans toute la force du terme, voilà ce qui ressort de tout le dialogue, ce qui en marque le sens et ce qui en fait la beauté morale.

Il y a là déjà de fortes raisons de croire que le Criton fut écrit et publié postérieurement à l’Apologie et peu après l’Euthyphron[1]. Les caractères de la composition apportent à cette vue une confirmation très forte. C’est encore un dialogue à deux personnages seulement. La structure en est dénuée d’artifice. Quelques brèves indications sur le moment, le lieu, la situation suffisent à en dessiner le cadre. L’entretien suit un cours naturel et comme rectiligne, sans écart, sans incidents notables, sans surprises. Aucune invention qui semble destinée à varier l’intérêt, à renouveler l’aspect des idées ; celles-ci se développent selon la logique du caractère principal ; elles nous mènent sans détour à la conclusion que l’auteur nous a

  1. Allusions à l’Apologie, p. 45 b, p. 52 c.