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EUTHYPHRON

ajoutés à l’art de Dédale. Mais e cessons ce badinage. Et puisque tu sembles mollir, je vais m’y mettre avec toi pour que tu m’instruises de ce qui est pieux. Pas de découragement : examine si tu ne crois pas nécessaire que tout ce qui est pieux soit juste.

Euthyphron. — Je le crois, certes.


Quatrième définition.

Socrate. — Mais tout ce qui est juste est-il pieux ? ou bien tout ce qui est pieux est-il 12 juste, sans que, pour cela, tout ce qui est juste soit pieux, une partie seulement de ce qui est juste étant pieux, le reste non ?

Euthyphron. — Je ne puis te suivre dans tes distinctions, Socrate.

Socrate. — Tu es pourtant plus jeune que moi, et je te dépasse en âge autant que tu me dépasses en savoir. Mais, je le répète, tu crains la peine, parce que tu es trop riche de savoir. Allons, homme fortuné, un peu d’effort. Ce que je dis n’est pas si difficile à comprendre. Ma pensée est exactement l’opposée de celle qu’a énoncée le poète, quand il a dit :

Tu ne veux pas t’en prendre à Zeus qui l’a fait et qui est l’auteur de tout cela ; b là où est la crainte est aussi le respect[1].

Mon opinion là-dessus est toute différente. Veux-tu que je te dise en quoi ?

Euthyphron. — Oui certes.

Socrate. — Eh bien, je ne crois pas que là où est la crainte soit aussi le respect. Car il me semble que beaucoup de gens qui craignent les maladies, la pauvreté et d’autres choses encore, ont de la crainte, mais nul respect pour ce qu’ils craignent. N’es-tu pas de mon avis ?

Euthyphron. — Absolument.

Socrate. — Au contraire, là où est le respect est aussi la crainte. Est-il quelqu’un qui, ayant honte de quoi que ce soit par respect de lui-même, n’ait en même temps peur et c ne craigne la mauvaise réputation ?

Euthyphron. — Oui, cette crainte est inévitable.

Socrate. — Il n’est donc pas juste de dire : là où est la crainte est aussi le respect ; ce qui est vrai, c’est que là où est le respect est aussi la crainte, mais il n’y a pas toujours respect quand il y a crainte. La crainte, à mon avis, s’étend

  1. Fragment des Chants cypriens, attribués à Stasinos.