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APOLOGIE DE SOCRATE

41 arrivant chez Hadès, on sera débarrassé de ces gens qui prétendent être des juges et qu’on y trouvera les juges véritables, ceux qui, dit-on, rendent là-bas la justice, Minos, Rhadamanthe, Éaque, Triptolème, avec ceux des demi-dieux qui ont été des justes quand ils vivaient ; pensez-vous que le voyage n’en vaudrait pas la peine ? Ou encore, si l’on y fait société avec Orphée, Musée[1], Hésiode et Homère, que ne donneriez-vous pas pour en jouir ? Quant à moi, je voudrais mourir plusieurs fois, b si cela est vrai. Quel merveilleux passe-temps, pour moi particulièrement, que de causer là-bas avec Palamède, avec Ajax, fils de Télamon, ou avec tel autre héros du temps passé qui a pu mourir par suite d’une sentence injuste[2] ! Comparer mon sort au leur ne serait pas pour moi sans douceur, je pense ; et j’aimerais surtout à examiner ceux de là-bas tout à loisir, à les interroger, comme je faisais ici, pour découvrir qui d’entre eux est savant, et qui croit l’être, tout en ne l’étant pas. Que ne donnerait-on pas, juges, pour examiner ainsi l’homme qui a conduit contre Troie cette grande armée, c ou encore Ulysse, Sisyphe, tant d’autres, hommes et femmes, que l’on pourrait nommer ? Causer avec eux, vivre en leur société, examiner ce qu’ils sont, bonheur inexprimable ! D’autant plus qu’à tout prendre, on ne risque pas dans ce milieu d’être mis à mort pour cela. Un des avantages que ceux de là-bas ont sur nous, c’est d’être désormais immortels, du moins si ce qu’on dit est vrai.

Cette confiance à l’égard de la mort, juges, vous devez l’éprouver comme moi, si vous prenez conscience seulement de cette vérité, d qu’il n’y a pas de mal possible pour l’homme de bien, ni dans cette vie, ni au delà, et que les dieux ne sont pas indifférents à son sort. Le mien non plus n’est pas le fait du hasard ; loin de là : je tiens pour évident qu’il valait mieux pour moi mourir maintenant et être ainsi délivré de toute

    ajoutées ici celles qui avaient été propagées par l’Orphisme et d’autres propres à l’Attique et à ses mystères.

  1. Les poèmes attribués à Orphée et à Musée formaient alors la littérature religieuse des associations orphiques.
  2. Ajax se donna la mort volontairement, mais à la suite du jugement qui l’avait frustré des armes d’Achille.