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APOLOGIE DE SOCRATE

aurez à subir, dès que j’aurai cessé de vivre, un châtiment bien plus dur, par Zeus, que celui que vous m’avez infligé. En me condamnant, vous avez cru vous délivrer de l’enquête exercée sur votre vie ; or, c’est le contraire qui s’ensuivra, je vous le garantis. d Oui, vous aurez affaire à d’autres enquêteurs, plus nombreux, que je réprimais, sans que vous vous en soyez doutés. Enquêteurs d’autant plus importuns qu’ils sont plus jeunes. Et ils vous irriteront davantage. Car, si vous vous figurez qu’en tuant les gens, vous empêcherez qu’il ne se trouve quelqu’un pour vous reprocher de vivre mal, vous vous trompez. Cette manière de se débarrasser des censeurs, entendez-le bien, n’est ni très efficace ni honorable. Une seule est honorable et d’ailleurs très facile : elle consiste, non pas à fermer la bouche aux autres, mais à se rendre vraiment homme de bien. Voilà ce que j’avais à prédire à ceux de vous qui m’ont condamné. Cela fait, je prends congé d’eux.


À ceux des
juges qui l’avaient
absous.

e

Quant à vous qui m’avez acquitté, j’aurais plaisir à causer avec vous de ce qui vient de se passer, pendant que les magistrats sont occupés[1] et en attendant qu’on m’emmène où je dois mourir. Veuillez donc bien demeurer quelques instants encore auprès de moi. Rien ne nous empêche de causer ensemble, tant que cela est possible. 40 Je voudrais vous exposer, comme à des amis, comment j’interprète ce qui m’arrive.

Apprenez donc, juges, — car ce titre que je vous donne, vous y avez droit, — apprenez une chose merveilleuse qui m’est advenue. Mon avertissement coutumier, celui de l’esprit divin, se faisait entendre à moi très fréquemment jusqu’à ce jour et me retenait, même à propos d’actions de peu d’importance, au moment où j’allais faire ce qui n’était pas bon. Or, maintenant, comme vous le voyez vous-mêmes, il m’arrive quelque chose que l’on pourrait considérer comme le malheur suprême et qui passe pour tel. Eh bien, ni ce matin, quand je sortais de chez moi, b la voix divine ne m’a retenu, ni à l’instant où je montais au tribunal, ni pendant que je parlais, en prévenant ce que j’allais dire. Bien souvent pour-

  1. Il s’agit sans doute des formalités exigées pour la notification officielle du jugement aux agents chargés d’en assurer l’exécution.