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APOLOGIE DE SOCRATE

pour certain que je ne changerai jamais de conduite, quand je devrais c mille fois m’exposer à la mort. »


C’est l’intérêt des Athéniens qui est en cause, non celui de Socrate.

Et maintenant, Athéniens, n’allez pas m’interrompre ; continuez, comme je vous l’ai demandé, à ne pas vous récrier, quoi que je dise, et veuillez m’écouter. J’ai tout lieu de croire que vous y trouverez profit. Sans doute, certaines choses, que j’ai encore à vous dire, pourraient vous donner envie de protester. De grâce, n’en faites rien.

Je vous le déclare : si vous me condamnez à mort, étant ce que je suis, ce n’est pas à moi que vous ferez le plus de tort, c’est à vous-mêmes. Pour moi, ni Mélétos, ni Anytos ne sauraient me nuire, si peu que ce soit. Comment le pourraient-ils ? d Aucun homme de valeur, à mon avis, ne peut être lésé par qui ne le vaut pas. Oh ! sans doute, il est possible à un accusateur de me faire mourir ou de m’exiler ou de me priver de mes droits civiques. Et lui, peut-être, ou quelque autre, se dit que ce sont là de grands malheurs. Moi, je ne le pense pas ; et je considère comme bien plus fâcheux de faire ce qu’il fait maintenant, quand il essaye de faire condamner à mort un homme injustement. Cela étant, ce n’est pas moi, comme on pourrait le croire, que je défends en ce moment ; tant s’en faut. C’est vous que je défends, car je crains qu’en me condamnant vous ne vous rendiez coupables e de mésestimer ce que la divinité vous a donné.

Songez-y : si vous me faites mourir, vous ne trouverez pas facilement un autre homme, — je le dis au risque de prêter à rire, — un homme attaché à vous par la volonté des dieux pour vous stimuler comme un taon stimulerait un cheval grand et de bonne race, mais un peu mou en raison même de sa taille, et qui aurait besoin d’être excité[1]. Cet office est celui pour lequel le dieu semble m’avoir attaché à votre ville, et voilà pourquoi je ne cesse de vous stimuler, de vous exhorter, 31 de morigéner chacun de vous, en l’obsédant partout, du matin jusqu’au soir.

Non, juges, vous ne trouverez pas facilement mon pareil ; et par conséquent, si vous m’en croyez, vous me garderez pré-

  1. Le mot grec signifie à la fois éperon et taon. Le contexte semble indiquer qu’il faut préférer le second sens.