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APOLOGIE DE SOCRATE

commise par ses compatriotes avait dû le révolter. La ville coupable lui faisait horreur. Il avait besoin de s’en éloigner pour quelque temps.

Il est tout à fait invraisemblable que l’Apologie ait été écrite à ce moment. Le ton qui y règne ne correspond en rien aux sentiments qui devaient alors agiter son auteur. On ne croira pas non plus aisément qu’il ait pu l’écrire pendant ses voyages à Cyrène et en Égypte, qui semblent avoir eu lieu dans les années suivantes. Au contraire, rien de plus naturel que d’en rapporter la date à l’époque présumée de son retour à Athènes, vers 396. En rentrant dans sa patrie, il y retrouvait tous les souvenirs de l’homme qu’il avait tant aimé et admiré. Son ressentiment s’était atténué ; il se rendait mieux compte de la part qui devait être faite à l’ignorance dans la sentence inique qu’Anytos avait obtenue du tribunal. Et en reprenant contact avec ses concitoyens, il voyait clairement combien Socrate était mal connu d’eux, combien de préjugés et d’idées fausses étaient répandues à son sujet. Cela d’ailleurs n’était pas difficile à expliquer. Ce sage, si détaché de tout, n’avait rien écrit. Ses ennemis avaient eu beau jeu à travestir son rôle, à défigurer son personnage. Il avait aussi des amis, il est vrai ; et ceux-ci, sans doute, ne l’oubliaient pas. Mais l’autorité de la chose jugée subsistait, difficile à ébranler. L’opinion publique en restait fortement impressionnée. Il fallait, pour l’éclairer, autre chose que des propos épars. Platon conçut la pensée d’un écrit qui dirait tout ce qu’il fallait dire, et qui le dirait de manière à être compris et goûté d’un grand nombre de lecteurs. L’Apologie est cet écrit.

Au lieu de parler en son propre nom, il imagina de faire parler Socrate lui-même. Il y avait chez lui un très vif instinct dramatique et un talent de même ordre, qu’il avait probablement exercé déjà dans la composition de quelques dialogues où il avait mis son maître en scène, où il s’était plu à reproduire son langage, à imiter son ironie enjouée, à donner une image fidèle de sa manière d’interroger et de discuter. Il eut maintenant l’idée de le faire voir tel qu’il avait été devant le tribunal. Rien ne convenait mieux à son dessein. On entendrait ainsi l’accusé lui-même répondre à ses calomniateurs ; on éprouverait, en l’écoutant, cette impression que