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NOTICE

Ceux qu’on appelait quelquefois ses disciples n’étaient en réalité que des compagnons habituels, des familiers, des amis, jeunes pour la plupart, qui trouvaient plaisir à l’entendre, à le faire parler, et qui le suivaient souvent dans ses enquêtes philosophiques, assistant et prenant part à ses entretiens quotidiens. Ce groupe inspirait une certaine défiance à l’opinion publique. Elle n’en aimait pas l’esprit critique, qui s’attaquait aux personnes et aux choses. D’ailleurs, on connaissait mal les idées qui y prédominaient, car Socrate n’avait rien écrit. On devinait toutefois que ces idées n’étaient pas celles de la foule, ni en morale, ni en politique, ni en religion. Bien peu de gens auraient pu dire exactement en quoi elles différaient ; elles n’étaient formulées nulle part. On n’en était pas moins persuadé qu’elles s’en écartaient sensiblement sur plusieurs points. En matière religieuse, on soupçonnait les compagnons de Socrate de tendances hétérodoxes. En politique, on les tenait pour des mécontents. Et surtout, ce qui apparaissait clairement à tous, c’était que l’enseignement de Socrate tendait à modifier profondément les directions traditionnelles de la vie. Tout honnête Athénien estimait que le but d’une activité raisonnable était de conserver son patrimoine ou de l’augmenter ; ainsi le voulait la sagesse traditionnelle, celle qu’on se transmettait de père en fils ; et l’on répétait que sans le travail assidu, sans la bonne économie, sans l’attention incessante donnée aux intérêts matériels, il était impossible d’y réussir. Or Socrate contredisait tous ces principes. Il combattait l’attachement aux richesses, il les méprisait lui-même et enseignait à les mépriser. Il orientait l’activité des esprits vers la discussion et, par là même, il semblait qu’il les détournât du travail vraiment profitable. N’y avait-il pas, dans ses exemples et ses discours, qu’il le voulût ou non, une protestation contre la coutume, une critique des leçons communément données par les parents à leurs enfants ? D’autre part, l’influence puissante que le maître exerçait sur son jeune entourage n’était pas sans exciter certaines appréhensions. Ce donneur de conseils ne risquait-il pas de prendre sur la jeunesse une autorité qui pourrait ne s’accorder ni avec les désirs des parents ni avec l’esprit même de la constitution ? Ces inquiétudes que l’on se communiquait, ces soupçons qui grossissaient en se répandant, s’ajoutaient aux ressentiments personnels de