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à Prodicus que la mort n’existe ni pour les morts ni pour les vivants.

Axioch. Comment cela, Socrate ?

Socr. C’est qu’elle n’existe pas pour les vivants, et que les morts n’existent pas. Ainsi, elle n’est pas pour toi puisque tu n’es pas mort ; et si tu mourais, elle ne serait pas davantage pour toi, puisque tu ne serais plus. C’est donc une vaine frayeur, et Axiochus se plaint d’un mal qui n’est point et qui ne sera jamais pour lui. C’est comme s’il redoutait Scylla ou un centaure qui n’existent pas à présent et qui n’existeront pas non plus après sa mort. Ce qui est redoutable ne l’est que pour ceux qui existent ; comment le serait-il pour ceux qui ne sont pas ?

Axioch. C’est le bavardage à la mode qui t’inspire ces belles choses ; c’est la source de tous ces merveilleux discours qu’on compose pour la jeunesse. Mais ce qui me chagrine, c’est d’être privé des biens de cette vie ; et j’ai besoin, Socrate, que tu me donnes des raisons un peu plus persuasives. Mon esprit ne se laisse point entraîner à l’élégance de tes paroles, et tout cela ne me touche même pas l’épiderme. Il y a de la pompe, de l’éclat dans tes périodes, mais pas un mot de vrai. La souffrance ne se laisse pas désarmer par le sophisme ; il lui faut des choses qui pénètrent jusqu’à l’âme.

Socr. C’est que, contre toute raison, mon cher Axiochus, tu mets à côté de la privation des biens le sentiment des maux, sans songer que tu es mort. Celui qui est privé de certains biens ne s’afflige qu’à cause des maux qu’il éprouve à leur place ; mais celui qui n’existe plus ne sent pas de privation ; comment donc s’affligerait-il, n’ayant pas le sentiment de ce qui pent affliger ? Et si, dans le principe, tu n’avais pas fait la faute de prêter une certaine sensibilité à la mort, tu ne l’aurais jamais tant redoutée. Et maintenant tu tombes dans une nou-