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LETTRE VII.

à Mégare, tu serais sans doute accouru à mon secours dès que je t’aurais appelé, ou ta conscience t’aurait reproché d’être le dernier des hommes ! Maintenant, est-ce en alléguant la difficulté du voyage, la longueur et le danger de la traversée, que tu espères justifier ta lâcheté ? Non, ne l’espère pas. » Quelle réponse raisonnable aurais-je pu faire à un tel langage ? Aucune, sans doute. J’avais donc des raisons aussi justes et aussi fortes [329b] que l’homme peut en avoir, pour abandonner mes habitudes honorables et aller vivre sous une tyrannie qui ne semblait convenir ni à mes principes ni à mon caractère ; mais en partant, je m’affranchis de tout reproche envers Jupiter hospitalier, et envers la philosophie qui n’aurait pas manqué de m’accuser si j’avais fait voir une honteuse faiblesse ou une lâcheté déshonorante. Pour être court, je trouvai tout en désordre autour de Denys. La calomnie [329c] accusait Dion de prétendre à la tyrannie : je le défendis autant que je pus, mais je n’avais pas grand pouvoir. Et environ quatre mois après, Denys l’accusa d’aspirer à la tyrannie, le fit jeter sur un petit navire et le chassa honteusement. Après cela, tous les amis de Dion redoutèrent avec moi que, sous prétexte de complicité, la vengeance du tyran ne tombât sur quelqu’un de nous. On fit même courir le bruit dans Syracuse que Denys m’avait fait mourir comme l’auteur de tout ce [329d] qui s’était passé. Mais Denys, voyant où nous en étions, et craignant que le désespoir ne nous inspirât quelque parti violent, nous traita avec beaucoup d’égards ; il chercha même en particulier à me consoler et à m’encourager, et me conjura de demeurer auprès de lui. Ma retraite était offensante pour sa gloire et je l’honorais en restant ; aussi feignit-il de me prier avec beaucoup d’instances. Or, nous savons que les prières d’un tyran sont [329e] des ordres. Pour pré-