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LE BANQUET.

embarrassé, plus asservi à cet homme qu’esclave ne le fut jamais à son maître, et je n’allais plus qu’au hasard.

Telle fut la première époque de mes relations avec lui. Ensuite nous nous trouvâmes ensemble à l’expédition contre Potidée[1], et nous y fûmes de la même chambrée. Dans les fatigues, il l’emportait, non-seulement sur moi, en fermeté et en constance, mais sur tous nos camarades. S’il nous arrivait d’avoir nos provisions interceptées et d’être forcés de souffrir de la faim, comme c’est assez l’ordinaire [220a] en campagne, les autres n’étaient rien auprès de lui pour supporter cette privation. Nous trouvions-nous dans l’abondance, il était également unique par son talent pour en user : lui qui d’ordinaire n’aime pas à boire, s’il y était forcé, il laissait en arrière tous les autres buveurs ; et ce qu’il y a de plus surprenant, nul homme au monde, n’a jamais vu Socrate ivre ; et c’est ce dont il m’est avis que vous pourrez bien avoir la preuve tout à l’heure. Fallait-il endurer la rigueur des hivers, qui sont très-durs dans ces contrées-là, ce qu’il faisait quelquefois est inouï. [220b] Par exemple, dans le temps de la plus forte gelée, quand

  1. Voyez l’Apologie et le commencement du Charmides.