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LE BANQUET.

gias[1], cet orateur terrible, qui m’allait pétrifier et me réduire au silence. J’ai reconnu en même temps combien j’étais ridicule, lorsque je me suis engagé avec vous [198d] à rapporter en mon rang les louanges de l’Amour, et que je me suis vanté d’être savant en amour, moi qui ne sais pas même comment il faut louer quoi que ce soit. En effet, jusqu’ici j’avais eu la folie de croire qu’on ne peut faire entrer dans l’éloge que des choses vraies, que c’était là le fond, et qu’il ne s’agissait plus que de choisir entre toutes ces choses les plus belles, et de les placer le plus convenablement. Je me croyais donc assuré de bien parler, puisque je savais la vraie manière de louer. Mais il paraît que cette méthode n’est pas la bonne, et qu’il faut attribuer [198e] les plus grandes perfections à l’objet qu’on a entrepris de louer, soit qu’elles lui appartiennent, soit qu’elles ne lui appartiennent pas, la vérité ou la fausseté n’étant en cela de nulle importance. Il avait été convenu, à ce qu’il semble, que chacun de nous aurait l’air de louer l’a-

  1. Allusion à un passage de l’Odyssée, liv. XI, v. 632, sqq. :

                                 Je craignais
    Que Proserpine ne me lançât, du fond de l’enfer,
    La tête de la Gorgone, ce monstre terrible.