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LE BANQUET.

se servir de mille moyens pour parvenir à son but ; et il n’y a pas un seul de ces moyens qui ne fut capable de le perdre dans l’esprit de tous les honnêtes gens, [183a] s’il s’en servait pour toute autre chose que pour se faire aimer : car, si un homme, dans le dessein de s’enrichir, ou d’obtenir un emploi, ou de se faire quelque autre établissement de cette nature, osait avoir pour quelqu’un la moindre des complaisances qu’un amant a pour ce qu’il aime, s’il employait les mêmes supplications, s’il avait la même assiduité, s’il faisait les mêmes serments, s’il couchait à sa porte, s’il descendait à mille bassesses où un esclave aurait honte de descendre, il n’aurait ni un ennemi ni un ami qui le laissât en repos : [183b] les uns lui reprocheraient sa turpitude, les autres en rougiraient et s’efforceraient de l’en corriger. Cependant tout cela sied merveilleusement à un homme qui aime ; tout lui est permis : non-seulement ses bassesses ne le déshonorent pas, mais on l’en estime comme un homme qui fait très-bien son devoir. Et ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est qu’on veut que les amans soient les seuls parjures que les dieux ne punissent point ; car on dit que les serments n’engagent point en amour : dans nos mœurs, [183c] les hommes et les dieux per-