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LE BANQUET.

c’est ce que l’amour sait faire merveilleusement. Les tyrans d’Athènes en firent autrefois l’expérience : la passion d’Aristogiton et la fidélité d’Harmodius[1] renversa leur domination. Il est donc visible que, dans les états où il est honteux [182d] d’accorder ses faveurs à qui nous aime, cette excessive sévérité vient de l’iniquité de ceux qui l’ont établie, de la tyrannie des gouvernants et de la lâcheté des gouvernés ; et que dans les pays où l’on dit simplement qu’il est bien de se rendre à qui nous aime, cette indulgence outrée est une preuve de grossièreté. Tout cela est bien plus sagement ordonné parmi nous. Mais, comme j’ai dit, il n’est pas facile de comprendre l’esprit de nos mœurs. D’un côté, on y dit qu’il est mieux d’aimer aux yeux de tout le monde que d’aimer en cachette, et qu’il faut aimer, de préférence les plus généreux et les plus vertueux, alors, même qu’ils seraient moins beaux que d’autres. Tout le monde s’intéresse au succès d’un homme qui aime ; on l’encourage ; ce qu’on ne ferait point si l’on croyait qu’il ne fût pas honnête d’aimer ; [182e] on l’estime quand il a réussi dans son amour ; on le méprise quand il n’a pas réussi. On permet à l’amant de

  1. Voyez l’Hipparque et Thucydide, I, 20.