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entretenu avec moi : c’était le meilleur des hommes ; et maintenant comme il me pleure de bon cœur ! Mais allons, Criton, obéissons-lui de bonne grâce, et qu’on m’apporte le poison, s’il est broyé ; sinon, qu’il le broie lui-même.

Mais je pense, Socrate, lui dit Criton, que le soleil est encore sur les montagnes, et qu’il n’est pas couché : d’ailleurs je sais que beaucoup d’autres ne prennent le poison que long-temps après que l’ordre leur en a été donné ; qu’ils mangent et qu’ils boivent à souhait ; quelques-uns même ont pu jouir de leurs amours ; c’est pourquoi ne te presse pas, tu as encore du temps.

Ceux qui font ce que tu dis, Criton, répondit Socrate, ont leurs raisons ; ils croient que c’est autant de gagné : et moi, j’ai aussi les miennes pour ne pas le faire ; car la seule chose que je croirais gagner, en buvant un peu plus tard, c’est de me rendre ridicule à moi-même, en me trouvant si amoureux de la vie que je veuille l’épargner lorsqu’il n’y en a plus[1]. Ainsi donc, mon cher Criton, fais ce que je te dis, et ne me tourmente pas davantage.

  1. Allusion à un vers d’Hésiode (Les Œuvr. et les Jours, v. 367).