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Je fais tout ce que je peux, reprit Glaucon. Ces deux hommes supposés tels que je viens de les dépeindre, il n’est pas malaisé, ce me semble, de dire le sort qui les attend l’un et l’autre. Je vais donc l’essayer, et s’il m’échappe quelques paroles trop dures, souviens-toi, Socrate, que ce n’est pas moi qui parle, mais ceux qui préfèrent l’injustice à la justice. À les entendre, le juste, tel que je l’ai représenté, sera fouetté, mis à la torture, chargé de fers ; on lui brûlera les yeux ; à la fin, après avoir souffert tous les maux, il sera mis en croix ; alors il faudra bien qu’il reconnaisse qu’il ne s’agit pas d’être juste, mais de le paraître. C’est à l’homme injuste qu’il eût beaucoup mieux valu appliquer les paroles d’Eschyle : car, diront-ils, c’est lui qui s’attache à quelque chose de réel au lieu de régler sa vie sur l’apparence, et qui veut non paraître injuste, mais l’être,


Son esprit est un champ fertile
Où germent en foule les sages projets[1].


Comme il passe pour juste, il a toute autorité dans l’État ; il se marie où il lui plaît lui et les siens, il forme des liaisons de plaisir ou d’affaires avec qui bon lui semble, et, outre cela, il tire avan-

  1. Les Sept devant Thèbes, v. 577-579.