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livrent brutalement à la bonne chère et à l’amour ; et dans leur avidité jalouse, ils en viennent aux coups de cornes et aux ruades, et finissent par s’entre-tuer avec leurs cornes et leurs sabots de fer, grâce à la fureur d’appétits insatiables ; parce qu’ils ne songent à se remplir ni d’objets réels ni dans cette partie d’eux-mêmes qui tient de l’Être et qui est capable d’une vraie plénitude.

C’est parler en oracle ; et voilà, Socrate, une image frappante de la vie que mènent la plupart des hommes.

N’est-ce donc pas une nécessité pour eux de goûter seulement des plaisirs mêlés de douleurs, vains fantômes du plaisir véritable, qui ne prennent de couleur et d’éclat que par leur rapprochement, et dont l’aspect imposteur excite alors dans l’ame des insensés des transports d’amour si violens qu’ils se battent pour les posséder, comme le fantôme d’Hélène pour lequel les Troyens se battirent, selon Stésichore[1], faute de connaître l’Hélène véritable ?

  1. Le Scholiaste de Lycophron (Alexandra, v. 113), rapporte une vieille tradition, d’après laquelle Hélène, débarquée en Égypte avec Paris, aurait été enlevée par Protée, roi d'Égypte, et n’aurait pas été elle-même à Troie, mais seulement son fantôme. Ce même Scholiaste cite un vers de Stésichore, relatif à cette tradition. Il est probable que Stésichore en était le principal auteur, et c’est à lui qu’Euripide l’aura empruntée, Hélène, v. 33 sqq. Hérodote, II, 113, raconte aussi le séjour d’Hélène en Égypte, d’après le témoignage des prêtres de ce pays ; mais il ne parle pas du fantôme.