qu’en réalité la justice est un bien pour tout autre que pour l’homme juste, qu’elle est utile au plus fort qui commande, et nuisible au plus faible qui obéit ; que l’injustice, au contraire, soumet à son joug l’homme simple par excellence, le juste qui, étant le sujet du plus fort, se dévoue à son intérêt, et travaille à son bonheur, sans penser au sien. Simple que tu es, vois donc que le juste a partout le dessous vis-à-vis l’injuste. Dans les transactions privées, tu trouveras toujours que le dernier résultat est un gain pour l’injuste, une perte pour le juste. Dans les affaires publiques, quand il faut donner, le juste, avec des biens égaux, donne davantage ; faut-il recevoir ? le profit est tout entier pour l’injuste. Que l’un ou l’autre exerce quelque charge : le premier, s’il ne lui arrive rien de pis, laisse dépérir ses affaires domestiques par le peu de soin qu’il y apporte, et la justice l’empêche de les rétablir au préjudice de l’État ; de plus, il est odieux à ses amis et à ses proches, parce qu’il ne veut rien faire pour eux au delà de ce qui est équitable. C’est tout le contraire pour l’injuste ; comme j’ai déjà dit, ayant un grand pouvoir, il s’en sert pour gagner le plus possible. Voilà l’homme qu’il faut considérer, si tu veux comprendre combien l’injustice est plus avantageuse que la justice. Tu le comprendras encore mieux,
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