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grand temps que nous en parlions. Si, pour accorder le droit de cité à une idée scientifique, nous exigions que cette idée ait déjà été justifiée définitivement, et même, si nous nous contentions de demander que cette idée ait un sens suffisamment net, il est certain que nous aboutirions parfois à causer un dommage grave au progrès de la science. Nous ne devons pas oublier que, souvent, les idées confuses ont été les causes les plus actives d’un développement scientifique extrêmement brillant.

Personne plus que Gœthe n’a eu le sentiment de cet antagonisme ; il en a porté la préoccupation toute sa vie et il l’a exprimé sous les formes les plus diverses avec un accent qui ne pourra jamais être surpassé. Pour résoudre l’opposition, il eut recours au concept de totalité et grâce à ce concept les deux points de vue purent être admis à faire valoir leurs droits. Mais, malgré l’ampleur de son génie, Gœthe n’échappa pas aux limitations qui lui étaient imposées par le temps où il vivait. Il ne voulut jamais admettre qu’il y ait lieu de séparer les rayons lumineux, qui sont dans l’espace extérieur, de la sensation de lumière, qui est dans la conscience. Aussi fut-il incapable d’apprécier à leur juste valeur les progrès, pourtant éclatants, de l’optique physique. Cependant, s’il pouvait voir l’idée de totalité s’intégrer à la physique comme elle le fait aujourd’hui, il y trouverait la confirmation de ses idées.

La science contient, nous l’avons déjà dit occasionnellement, un noyau d’irrationnalité que l’esprit le plus pénétrant ne saurait extirper. On ne saurait le faire disparaître, bien que la chose soit souvent tentée de nos jours, en limitant la tâche de la science. Si quelqu’un s’en étonnait ou en ressentait du mécontentement, qu’il veuille bien considérer que c’est là une nécessité. Un examen un peu attentif permet, en effet, de se rendre compte, sans difficulté, que toute science (naturelle ou psychologique) ne prend pas son ouvrage à son origine, mais, pour ainsi dire en son milieu. Elle s’efforcera ensuite de remonter plus ou moins péniblement et en hésitant jusqu’au commencement sans avoir l’espoir d’y parvenir jamais complètement. La science ne trouve pas tout faits les principes avec lesquels elle travaille, il lui faut les créer artificiel-