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nous contraindre à admettre l’existence d’autres hommes que nous-mêmes. Mais elle n’est pas seule à assurer le gouvernement de notre entendement, il y faut aussi la raison. Or pour qu’une chose soit raisonnable, il ne suffit pas qu’elle ne comporte aucune contradiction logique. La raison nous dit que si nous tournons le dos à un objet en nous éloignant de lui, il en reste encore quelque chose quand nous ne sommes plus là. La raison nous dit encore qu’un seul homme, que l’humanité tout entière avec tout son univers de sensations, que notre système planétaire lui-même, ne sont qu’un tout petit rien, une partie infime de la nature sublime et incompréhensible. La raison nous dit que les lois de la nature ne surgissent pas d’un pauvre cerveau humain, qu’elles ont existé avant que la vie soit apparue sur la terre et qu’elles existeront encore quand le dernier physicien aura disparu.

Ces pensées, qui ne sont pas des conclusions logiques, nous obligent à admettre l’existence d’un monde réel derrière le monde de nos sensations, monde dont l’existence est indépendante de l’homme. Nous ne pouvons acquérir aucune connaissance directe de ce monde, nous pouvons seulement en prendre conscience par l’intermédiaire du monde de nos sensations. S’il y a des gens qui ne peuvent se résigner à adopter cette manière de voir et qui ne peuvent envisager l’existence d’un monde réel, inconnaissable par principe, nous leur ferons observer que, se trouver en présence d’une théorie physique toute achevée dont on peut analyser exactement le contenu et établir que des concepts pris dans le monde sensible suffisent parfaitement à la formuler, est une chose et, qu’édifier une théorie physique en prenant son point de départ dans un ensemble de mesures particulières est une tout autre chose. L’histoire de la physique nous montre combien cette seconde tâche est incomparablement plus difficile que la première. Jusqu’ici, on n’a pas pu réussir à la mener à bien sans admettre l’existence d’un monde réel indépendant de nos sens humains et, d’autre part, il n’y a pas de raison de penser qu’il en sera autrement à l’avenir.

Le monde étudié par les physiciens est un troisième monde qu’il convient de distinguer et du monde réel et du monde sensible. Ce monde, contrairement aux deux pre-