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LA RAGE D’AMOUR.

CONTE.

À Cupidon la jeune et belle Aminte,
Malgré l’hymen, sacrifiait toujours.
son pauvre époux était toujours en crainte
Qu’elle ne fit de nouvelles amours ;
Il ne pouvait en fermer la paupière,
Pestait, veillait tant qu’il en expira.
Lui mort, Aminte ayant libre carrière,
Se divertit en fille d’opéra
Qui n’est pas encore douairière.
Grand bruit en fut ; son curé crut devoir
L’en avertir. — « Vous vous perdez, madame ;
Changez de vie, ou c’est fait de votre âme. »
Hélas ! monsieur, je voudrais le pouvoir ;
— Lui répartit notre fringante veuve —
Qu’avancez-vous, mon pasteur en grondant
Ah ! plaignez-moi, tel est mon ascendant,
De deux jours l’un, me faut pratique neuve.
Cela me vient d’un accident fatal ;
Ma modestie a causé tout mon mal.
À quatorze ans d’un chien je fus mordue ;
L’avis commun fut qu’on me devait nue
Plonger en mer : nue on me dépouilla.
Honteuse alors de me voir sans chemise,
incontinent je portai la main là
Où vous savez, sans jamais lâcher prise.
On me replonge : or qu’est-il arrivé ?
Mon corps alors, ô pudeur trop funeste !
Partout ailleurs du mal fut préservé,
Hors cet endroit ou la rage me reste.