Rien encor (quelque effroi qui dût m’avoir émue),
Rien n’avoit échappé jusqu’alors à ma vue ;
Mais du voile mortel mes yeux enveloppés
D’aucun objet depuis n’ont plus été frappés :
Du reste, mieux que moi tu n’es pas informée.
Ainsi de plus en plus tu me vois alarmée.
D’un rude et long combat peut-être qu’affaibli,
Gustave est demeuré sous l’onde enseveli ;
Peut-être que, sans chef, nos troupes fugitives
Auront à son rival abandonné ces rives ;
Et quand je me figure en proie à ses transports,
L’épouvantable abîme où je retombe alors…
Non, non ; d’un tel péril avoir été sauvée,
Au bonheur le plus grand c’est être réservée :
Madame, espérez tout ; cessant d’être ennemi,
Le destin rarement favorise à demi.
Eh ! Que peut-il pour moi ? Que veux-tu que j’espère,
Le fils m’étant rendu, s’il faut pleurer la mère ?
Quelle joie offrira la victoire à mon cœur ?
Si Christierne fuit, s’il échappe au vainqueur,
Léonor au tyran demeure abandonnée :
Elle à qui je dois plus qu’à ceux dont je suis née,
Elle dont le malheur n’est venu que du mien,
Qui me tient lieu de tout, sans qui tout ne m’est rien.
Son sang paieroit bientôt la commune allégresse.
Léonor périra !