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Mais l’inhumanité que j’ai le moins conçue,
C’est l’état déplorable où je vous ai reçue.

adélaïde

Tu pâliras, Sophie, au récit du danger
Qu’en ce désordre affreux l’on m’a fait partager.
Sur ces bords dont l’hiver a glacé la surface,
Mes ravisseurs fuyoient ; et, franchissant l’espace
Qui semble séparer le rivage et les eaux,
M’enlevoient vers la rade où flottoient leurs vaisseaux.
J’en croyois Frédéric ; et je m’étois flattée
De voir en sa faveur la flotte révoltée ;
Mais plus nous approchions, moins j’avois cet espoir :
Tout ce que j’aperçois paroît dans le devoir.
Laissant donc pour jamais Gustave et ma patrie,
Je demandois la mort, quand ce prince, en furie,
Du palais où ses yeux ne me rencontroient point,
Entend mes cris, me voit, vole à nous et nous joint.
On se mêle. Je veux regagner le rivage ;
Partout je me retrouve au centre du carnage.
La fortune se joue en ce combat fatal.
Sur la glace longtemps l’avantage est égal.
Elle nuit à la force, elle aide à la foiblesse ;
Et chaque pas trahit la valeur ou l’adresse.
Parmi des cris de rage, et de mourantes voix,
Un bruit plus effrayant, plus sinistre cent fois,
Sous nous, autour de nous, au loin se fait entendre.
La glace en mille endroits menace de se fendre,
Se fend, s’ouvre, se brise et s’épanche en glaçons,
Qui nagent sur un gouffre où nous disparaissons.